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Alliance des États du Sahel : une nouvelle dynamique de sécurité collective ?

26/03/2024

Par Jabir Touré, docteur en science politique, spécialiste des questions de sécurité et de défense au Sahel.


Citer cet article

Jabir Touré, Alliance des États du Sahel : une nouvelle dynamique de sécurité collective ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 26 mars 2024.

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L'image d'illustration est un choix éditorial de l'Iega.


La sécurité collective au Sahel est devenue une priorité essentielle pour les pays de la région pour faire face à une série de menaces sécuritaires complexes et multidimensionnelles. Les menaces comprennent notamment les activités terroristes, la criminalité transnationale, les conflits intercommunautaires, la pauvreté, le changement climatique et la fragilité des institutions étatiques.

Pour répondre à ces menaces, les pays du Sahel ont cherché à renforcer leur sécurité collective par le biais de collaborations régionales et internationales. L'une des premières initiatives de sécurité collective au Sahel est la force multinationale mixte. Créée en 1994, au Nigéria, pour lutter contre la criminalité transfrontalière dans le bassin du Lac Tchad, son mandat a été élargi en 2014 pour lutter contre Boko haram et regroupe le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad [1].

Cette première alliance a été suivie par le G5 Sahel, lequel a vu le jour en 2014 à l'initiative de la France et regroupait cinq pays du Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad [2]. Il avait pour objectif principal de promouvoir la coopération régionale dans les domaines de la sécurité, du développement économique et social, ainsi que de renforcer la gouvernance dans la région du Sahel, confrontée à des défis multiples et complexes [3]. Le défi principal auquel cette organisation faisait face était la menace terroriste. Si en 2012, cette menace terroriste ne concernait que le Nord du Mali, elle a atteint le Burkina Faso et le Niger en 2015. Pour y faire face, les cinq États membres ont décidé de mettre ne place une force conjointe, le 6 février 2017 [4]. Composée de cinq milles hommes et appuyée par la force française de l'opération Barkhane [5]. Cette force conjointe a eu peu de succès tactique sur le terrain à cause de plusieurs facteurs interdépendants. Le premier fut le manque de financement. Le budget de l'institution était évalué à 450 millions de dollars par an [6]. Ce financement n'a jamais pu être assuré, malgré le soutien de plusieurs acteurs (Allemagne, France, États-Unis, Union européenne, etc.) La formation et l'équipement des hommes constituaient l'autre handicap de la force conjointe. Si la France était le plus grand soutien de la force, à travers des formations et des opérations conjointes, la création de la Task Force Takuba avait contribué à affaiblir cette force. Le manque d'engagement « sincère » de la part de la Mauritanie dans la lutte contre le terrorisme avait été soulevé par les autres pays. La Mauritanie est en effet le seul parmi les cinq pays qui n'a jamais été attaqué et qui n'a pas mis ses milles hommes à la disposition de la force conjointe. Enfin, la prise du pouvoir par des militaires au Burkina, au Mali et au Tchad ainsi que les tensions entre le Mali et la France d'une part puis entre le Mali et le Niger (de Mahamadou Bazoum) d'autre part, ont fini par bloquer toute collaboration entre ces États. Entre temps, les groupes terroristes continuent à étendre leur expansion du Sahel aux pays du golfe de Guinée (Bénin, Ghana et Togo). Il faut ajouter à cela la jonction entre l'État islamique au Grand Sahara (EIGS), actif dans la région du Liptako Gourma [7], et l'État islamique en Afrique de l'Ouest (Cameroun, Niger, Nigéria et Tchad) [8]. Finalement, avec le départ des forces françaises de l'opération Barkhane, le retrait du Mali et le coup d'État au Niger, le G5 Sahel est devenu inopérant alors que les attaques terroristes ne cessent de faire ravage dans ces trois pays [9]. Les sanctions économiques et financières imposées à ces trois pays, après les coups d'État, par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a renforcé leurs liens. Ils ont été contraints de réorganiser leurs forces, de conjuguer leurs efforts et d'adapter leurs stratégies de lutte antiterroriste au contexte post Barkhane [10].

L'Alliance des États du Sahel est ainsi née de la nécessité de faire face à des défis cruciaux dans ces pays confrontés à des tensions sécuritaires persistantes. En réponse à ces enjeux, ces pays ont uni leurs efforts pour construire une plateforme de coopération multilatérale, visant à améliorer la sécurité régionale, à promouvoir le développement socio-économique et à lutter contre les effets néfastes du changement climatique.

Signée conjointement par les chefs d'État de trois pays, le 16 septembre 2023, la charte du Lipta Gourma institua l'Alliance des États du Sahel (AES) [11]. Elle découle de la volonté de ces pays d'établir « une architecture de défense collective et d'assistance mutuelle » [12] aux bénéfices des populations. Les articles six à huit de la charte détaillent les contours de cette alliance : toute agression contre un État membre [13], toute menace interne (telle qu'une rébellion) ou externe ou atteinte à l'intégrité territoriale et à la souveraineté d'un État membre déclenche automatiquement l'intervention des autres États pour lui venir au secours [14].

Ces pays sont toutefois confrontés à des défis majeurs et le plus important demeure le défi sécuritaire. Si lors de la création de l'opération Barkhane en 2014 la menace terroriste ne concernait que le Nord du Mali, elle atteint aujourd’hui les pays du golfe de Guinée. N'ayant pas eu satisfaction au sein du G5 Sahel, qu'ils considèrent être piloté par des acteurs étrangers, ils se sont retirés de ce dernier. Ils souhaitent ainsi gérer leur sécurité selon leurs propres normes et stratégies. Pour y parvenir, ils se sont orientés vers une nouvelle dynamique plus proche de Moscou que de Paris. Le retour en force de la Russie n'est toutefois pas synonyme de l'éradication de la menace terroriste : malgré un an et demi de présence russe au Mali et une influence grandissante au Burkina, les terroristes continuent d'infliger de lourdes pertes aux armées régulières de ces pays. Ce qui change avec l'AES, c'est la possibilité de poursuite des terroristes lorsque ceux-ci se réfugient dans l'un des pays membres de l'Alliance. Ce droit de poursuite est une avancée majeure dans cette nouvelle dynamique de sécurité collective. L'AES permet également l'organisation des opérations conjointes dans la zone des trois frontières. C'est une initiative qui existait dans le G5 Sahel, mais elle n'était pas opérationnelle. Son but consiste à appliquer la stratégie du « cadrillage » afin d'empêcher les terroristes de se réfugier dans l'un des trois pays. Cela réduit dès lors leur liberté de manœuvre entre des frontières poreuses. Le défi sécuritaire ne peut toutefois être dissocié du défi économique, car les opérations militaires ne peuvent produire les résultats escomptés si elles ne sont pas suivies d'une politique de développement durable. Pour ce faire, les ministres de l'Économie et des Finances des pays membres de l'AES ont tenu à Bamako, le 25 novembre 2023, une réunion sur le développement économique dans l'espace du Liptako Gourma. Cette rencontre a formulé des recommandations pour favoriser le développement économique de l'AES. Il s'agit, entre autres, de la création de projets structurants dans le domaine de l'énergie, des infrastructures, des transports et de la sécurité alimentaire. La création d'un fonds de stabilisation et une banque d'investissement font partie également des recommandations. Cette réunion a été suivie par celle des ministres des Affaires étrangères à Bamako, du 30 novembre au 1er décembre 2023. Elle va plus loin en recommandant aux chefs d'États membres la « création d'une confédération » [15] entre les trois pays. Une ambition dangereuse qui, si elle se concrétisait, risquerait de perturber l'intégration régionale de la CEDEAO. Ces projets ambitieux sont difficilement réalisables en raison des sanctions économiques de la CEDEAO et de la suppression des aides étrangères (France, Union européenne) dont dépendent, en partie, les budgets de ces États. Cela conduit à explorer l'autre grand défi de l'AES : le défi économique. Ces pays sont les seuls ayant plus de points communs (culturel, géographique, environnemental, etc.) que les autres pays du Sahel. Ils sont le centre du Sahel et les plus vulnérables au djihadisme. Ils sont classés dans la catégorie des pays les moins avancés, avec une pauvreté qui varie entre 40 et 50 % de la population [16]. Ce sont également des pays enclavés avec des immenses territoires désertiques [17], plus exposés au changement climatique. Ce sont enfin les pays ayant la plus forte démographie du Sahel avec six enfants par femme en moyenne [18].

L'AES a, cependant, des moyens et des ressources pour faire face à ces défis, notamment s'agissant des ressources minières. Ces trois pays dépendent largement des exploitations de l'or pour le Burkina et le Mali, l'uranium et le pétrole pour le Niger. Ce sont également des pays ayant un fort potentiel agricole ainsi qu'en matière d'élevage. Le Burkina et le Mali font également partie des grands producteurs de coton en Afrique. Pour bénéficier de toute ces richesses, ces trois pays ont signé plusieurs accords de coopération avec la Russie et la Chine pour la construction de centrales nucléaires, d'usines de raffinages d'or et de centrales solaires.

L'Alliance des États du Sahel incarne un espoir pour des pays affectés par de l'instabilité. Cette coopération régionale offre un potentiel significatif pour améliorer la vie des populations, renforcer la sécurité et promouvoir un développement durable. Ces défis complexes nécessitent malgré tout une collaboration continue, un soutien international accru et une détermination inébranlable pour transformer les aspirations de cette alliance en réalisations concrètes. L'insécurité, la mauvaise gouvernance et la corruption sont les raisons avancées par les militaires pour prendre le pouvoir. La rupture des relations avec la France et le bras de fer avec la CEDEAO les ont poussés à prendre leur destin en main en se tournant vers la Russie et la Chine. Reste à savoir si ces nouveaux partenaires, qui ne le sont pas en réalité, pourraient faire mieux que les alliés traditionnels (France, Union européenne, États-Unis). Le souhait de former une confédération et de mettre en place une union monétaire risquerait, enfin, de fracturer l'intégration régionale et économique prônée par la CEDEAO.


[1] Internationale Cirsis Group, Quel rôle pour la force multinationale mixte dans la lutte contre Boko Haram ?, Rapport Afrique, N° 297, 7 juillet 2020, p. 1.

[2] G5 Sahel, Convention portant création du G5 Sahel, Nouakchott, 19 décembre 2014.

[3]Article 4 de la Convention.

[4] G5 Sahel, Résolution n° 00-01/2017 relative à la création d'une force conjointe du G5 Sahel, Bamako, 6 février 2017.

[5] Jabir TOURE, « Les opérations francophones de lutte contre le terrorisme : l'exemple du G5 Sahel », Revue internationale des francophonies, [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 2 juin 2021, consulté le 16 décembre 2023. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1310.

[6] Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest, Le G5 Sahel et sa force conjointe, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), n° 64, 2018, p. 20.

[7] Appelé également la région des trois frontière (Burkina Faso, Mali, Niger).

[8] Ex-Boko Haram.

[9] Plus de 5000 morts selon le think tank ACLED. Voir Héni NSAIBIa, 10 conflits à craindre en 2022, « le Sahel », ACLED, Juillet 2022.

[10] Pour aller plus loin, lire : Hendrik SEXAUER, « La coopération régionale sur fond de coups d'État, de terrorisme et d'insécurité transfrontalière : quel avenir pour le G5-Sahel ? », Friedrich-Ebert-Stiftung, Juillet 2023.

[11] Alliance des Etats du Sahel, Charte du Lipatko Gourma instituant l'Alliance des Etats du Sahel, 16 septembre 2023.

[12] Article 2 de la Charte.

[13] Cette partie s'adresse, en réalité, à la CEDEAO qui voulait intervenir militairement au Niger afin de rétablir l'ordre constitutionnel après le renversement du président Bazoum.

[14] Articles 6, 7 et 8 de la Charte.

[15] Alliance des Etats du Sahel, Déclaration issue de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Alliance des Etats du Sahel, Bamako, 2 décembre 2023.

[16] Voir : Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, Crisis-resilient development finance, The last developed countries report, 2023 ; Fonds des Nations Unies pour la population, Démographie, paix et sécurité au Sahel. Regards croisés pour un Sahel central résilient, 2020, Dakar, L'Harmattan-Sénégal.

[17] Les trois pays réunis représentent une superficie égale à 2 782 000 km².

[18] Données tirées du site de la banque mondiale.