Comprendre l’élection de Milei en Argentine : la recrudescence des candidats « antisystèmes »
Par Emma Giuliano, responsable du département Amérique latine de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.
Le second tour des élections présidentielles en Argentine s'est tenu dans un contexte de crise économique dont le pays ne parvient pas à se désensevelir. Les Argentins sont frappés par un taux d'inflation annuel qui s'élève à presque 143%, qui pourrait avoisiner les 180% d'ici la fin de l'année. Le peso argentin est démesurément dévalué et plus de 40% de la population se trouve sous le seuil de pauvreté, sans compter que plus de 45% des employés du pays cumule une activité dans le secteur informel pour subvenir à leurs besoins (données de OIT).
Le 19 novembre 2023, le candidat d'extrême droite qui s'autoproclame « antisystème » de l'alliance Avanza La Libertad, Javier Milei, est élu président de l'Argentine avec 55,7% des votes. Il arrive en tête du scrutin dans 21 des 24 provinces argentines. Ces résultats font de lui le Président le mieux élu depuis le retour à la démocratie. Le personnage de Milei a beaucoup été médiatisé pour ses outrances verbales et ses positions rétrogradées sur des sujets sociaux. Si le choix réalisé par la société argentine est inquiétant sur certains points, il convient de l'analyser pour comprendre les dynamiques qui ont motivé plus de la moitié de la population en mesure de voter à prendre cette décision.
Parmi les figures phares des élections de 2023, trois visages se sont démarqués : Javier Milei (La Libertad Avanza), Sergio Massa (Unión por la Patria) et Patricia Bullrich (Juntos por el Cambio).
- Milei a su séduire l'électorat argentin avec une vision radicalement différente pour l'Argentine, marquée par la diminution du rôle de l'État et la suppression des régulations pour favoriser la libéralisation économique. Il a aussi choqué par ses propositions rocambolesques et provocatrices. Parmi les plus surprenantes, on retient la suppression de plusieurs ministères (culture, éducation, droit des femmes) et l'alignement géopolitique presque unilatéral avec les États-Unis et Israël. Ses discours sur l'interdiction de l'avortement ont eu des échos négatifs dans le pays pionnier du droit des femmes en Amérique latine, mais n'ont pas empêché son ascension.
- Sergio Massa, ancien ministre de l'Économie était le candidat du parti au pouvoir. Ses propositions s'articulaient autour de la modération de l'économie et de la stabilisation de l'inflation. Parmi ses projets les plus médiatisés, la dollarisation et la suppression de la banque centrale ont suscité l'étonnement.
- Patricia Bullrich, ancienne ministre de la sécurité et présidente du principal parti d'opposition, avait l'ambition de restaurer l'ordre dans le pays. Elle mettait l'accent sur le renforcement de la sécurité, l'établissement de règles claires pour les investissements et la stimulation de la croissance économique.
Ces trois candidats ont incarné trois manières différentes d'adresser les problèmes structurels auxquels l'Argentine est confrontée. À l'issue du premier tour, le radical Milei était talonné par Massa et sa promesse de stabilité tandis que la campagne électorale de Bullrich a eu du mal à surmonter le statut de deuxième choix de l'opposition.
La société argentine était confrontée à un dilemme épineux, partagée entre le désir de changer après avoir été déçue par les précédentes administrations péronistes et la méfiance envers un candidat de droite faisant l'objet de controverses. Les Argentins n'ont finalement pas eu le choix que de voter pour le « moins pire ». Par ailleurs, le ralliement de Bullrich à Milei à l'issue du premier tour a permis à ce dernier de récupérer prêt de 80% de son électorat. Finalement, même si la recette miracle pour remettre le pays sur pied n'existe pas, les Argentins n'ont pas oublié que l'ancien ministre de l'Économie n'a pas fait ses preuves pendant son mandat.
Milei a joué la carte du choc. Cette fois, les propositions gradualistes de l'opposition n'ont pas convenu à la majorité de l'électorat. La lassitude de la population envers l'administration a donné du poids aux propositions choquantes de Milei. Le mandat de ce dernier ne sera toutefois pas dépourvu d'obstacles internes comme externes. Le président ne dispose pas d'une majorité au Congrès et encore moins de gouverneurs provinciaux ou autres élus locaux faisant partie de sa coalition. Il est probable que la paralysie institutionnelle génère une forte conflictualité sociale.