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Coopérations bilatérales au sein de l’Otan : initiatives et perspectives

09/07/2024

Le 3 juillet 2024, l'Institut d'études de géopolitique appliquée (Iega), dans le cadre de son observatoire des alliés de la France dans l'Otan, a organisé un petit-déjeuner débat en compagnie du colonel Lucien Bouche, conseiller Otan à l'État-major des Armées françaises sous la présidence de Olivier Sueur, président du comité consultatif de l'observatoire des alliés de la France dans l'Otan.

Cette publication est une synthèse des discussions. Elle a été rédigée par Lyse Da Costa Montfort, chargée de mission au sein de la direction générale de l'Institut d'études de géopolitique appliquée. Les propos exprimés n'engagent aucun participant de l'événement.

L'observatoire des alliés de la France dans l'Otan est un programme de l'Iega soutenu par la Division diplomatie publique de l'Otan.


L'organisation de l'État-major des armées françaises, en étroite collaboration avec l'OMA, illustre une structure élaborée qui s'articule autour de trois piliers principaux : les relations internationales et militaires, le capacitaire ainsi que le pilier opération et emploi des forces.

Le premier, orchestré par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (anciennement direction des affaires stratégiques), se focalise sur la fusion des perspectives militaires avec les stratégies diplomatiques. Cet axe joue un rôle essentiel dans la traduction des directives stratégiques en actions opérationnelles concrètes, influençant directement les décisions au plus haut niveau politique. L'existence de bureaux spécifiquement dédiés à cette tâche au sein du ministère des Armées démontre l'importance accordée à la coordination entre les décisions militaires et les politiques de défense globales.

Le pilier capacitaire a pour objet la planification à long terme des capacités de défense via le NATO Defense Planning Process. Ce processus stratégique, essentiel pour l'anticipation des besoins futurs, organise la préparation des capacités sur une période de vingt ans, s'assurant que les forces armées soient aptes à répondre aux exigences futures. Ce bureau ne trouve pas son équivalent dans les structures traditionnelles. Il illustre une spécificité et une innovation dans la gestion des capacités défensives.

Autour de ces deux piliers établis, on retrouve le pilier opération et emploi des forces, qui représente la dimension opérationnelle et tactique de l'organisation militaire. Historiquement, ce pilier a évolué d'une posture centrée sur la défense territoriale européenne durant la guerre froide à des opérations expéditionnaires plus récentes, témoignant d'une adaptabilité aux contextes géopolitiques variés. Les forces françaises ont ainsi participé à des manœuvres de l'Otan sur le territoire européen (CAFOR dans les Balkans), ainsi qu'à des missions expéditionnaires au-delà des frontières européennes, notamment en Afghanistan et en Irak (NATO mission in Irak). Le retour à un focus sur le territoire européen ne signifie pas un retour à une « guerre froide 2.0 », mais plutôt une adaptation à un nouveau modèle de défense, plus réactif et intégré aux dynamiques contemporaines. Cela se traduit par l'introduction du NATO Force Model, qui constitue une réponse stratégique de l'Otan à l'évolution des menaces sécuritaires, notamment exacerbées par l'agression russe contre l'Ukraine. Bien que cette attaque n'ait pas initialement motivé la création du modèle, elle a néanmoins catalysé son développement accéléré. Pour la France, le NATO Force Model représente un levier stratégique crucial, renforçant son influence au sein de l'Alliance et facilitant des arbitrages financiers et industriels avantageux.

L'interaction entre les approches bilatérales et multilatérales dans le cadre des relations internationales et de la défense présente une complexité inhérente mais également une opportunité stratégique significative. Dans le contexte des alliances telles que l'Otan, qui comprend désormais 32 pays avec l'adhésion récente de la Finlande et de la Suède, cette dynamique est particulièrement palpable. L'Otan, en tant qu'entité multilatérale, gère une force militaire totale de trois millions de militaires, la moitié étant américains. Cela illustre l'importance des engagements bilatéraux au sein d'une structure multilatérale. Le travail quotidien au sein de l'Otan révèle des cadres et forums qui, bien que restreints à un nombre plus limité d'alliés, facilitent une collaboration étroite sur les questions militaires et politico-militaires. Ces interactions sont cruciales pour la formulation et l'exécution des stratégies de défense. Le cadre bilatéral franco-allemand, par exemple, a non seulement renforcé les liens directs entre ces deux pays mais a également servi de pont pour des engagements multilatéraux plus larges au sein de l'UE et de l'Otan. Le Framework, sous l'égide américaine et hors Otan, illustre également cette synergie entre le bilatéral et le multilatéral. Initialement formé autour de la lutte antiterroriste en 2017, ce groupe a évolué vers une orientation plus large de lutte contre les compétiteurs stratégiques. Ce cadre inclut désormais 13 pays alliés, s'étendant à des régions telles que l'Indopacifique avec l'entrée du Japon, démontrant la capacité des structures bilatérales à se transformer et à s'adapter aux besoins de sécurité globaux.

Le commandement pour les opérations interarmées (CPOIA) s'articule principalement autour des capacités militaires, esquivant délibérément les dimensions politiques, financières et industrielles plus larges. Cette focalisation stratégique est considérée comme un levier essentiel pour la France, lui permettant de valoriser sa position et de défendre ses intérêts au sein de l'Otan. L'Alliance se révèle être un cadre idéal pour exercer et renforcer la coopération bilatérale avec des alliés privilégiés, tout en cultivant l'interopérabilité, qui est primordiale pour la cohésion et l'efficacité opérationnelle des forces armées membres. L'interopérabilité au sein de l'Otan n'est pas seulement une question de compatibilité tactique ; elle englobe également une harmonisation des doctrines, des systèmes de communication et des équipements, facilitant une intégration fluide lors des opérations conjointes. Ce cadre multinational sert également de plateforme pour tester et améliorer les capacités industrielles liées à la défense, offrant un « marché en devenir » pour les industries de défense. Cela permet également de construire une BITD européenne. Ces efforts sont illustrés par des projets comme la Jeff Experimentation and Reforce, une initiative alignée avec des programmes similaires au Royaume-Uni et par des collaborations franco-allemandes.

La stratégie bilatérale de la France au sein de l'Otan a traditionnellement privilégié des interactions avec les grands pays, tandis que les engagements avec les plus petits pays, particulièrement en Europe centrale et en Scandinavie, ont été moins approfondis. Cette orientation a permis à la France de maintenir des flux opérationnels directs et efficaces avec ses principaux alliés, mais elle a également conduit à une certaine limitation dans l'exploration de coopérations plus étendues avec des partenaires plus petits. En 2024, cette approche pourrait atteindre ses limites, soulignant la nécessité pour la France de reconsidérer sa portée bilatérale pour englober un spectre plus large d'alliés au sein de l'Otan. Cette expansion potentielle du cadre bilatéral pourrait enrichir la diversité et la profondeur des engagements français, permettant d'accéder à de nouveaux terrains stratégiques et de renforcer les liens avec des nations qui, bien que moins influentes seules, peuvent contribuer significativement à des initiatives multilatérales et régionales. Ce changement de stratégie s'observe notamment en Afrique, où l'accès de la France dans ce continent s'opère « au travers » ou « avec » ses alliés déjà présents.

L'évolution de la stratégie de l'Otan, sous l'influence du réalignement politique américain et des défis émergents tels que l'accroissement de la menace de la Chine, soulève des interrogations cruciales concernant l'adaptation stratégique requise au sein de l'alliance. L'orientation des États-Unis vers l'Indopacifique incite notamment les pays européens à réévaluer leur capacité à agir de manière autonome, en particulier dans un contexte de tensions avec la Russie et de soutien à l'Ukraine. Ce débat stratégique s'intensifie avec la nécessité pour l'Europe de développer une autonomie face à d'éventuels conflits où l'implication américaine pourrait être moindre, en raison de ses engagements ailleurs. Cette réflexion est étayée par des analyses telles que celles de la RAND Corporation, qui soulignent que les engagements de défense aux États-Unis sont aujourd'hui insolvables. La capacité de l'Europe à construire une autonomie stratégique au sein ou en dehors de l'Otan devient alors de plus en plus cruciale.