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COP29 : en route vers Bakou

22/07/2024

Gabriel Lagrange, responsable du département géopolitique du changement climatique à l'Institut d'études de géopolitique appliquée, s'est entretenu avec Justin Dargin, PDG de Resolve36, Université d'Oxford, chercheur principal sur l'énergie et le changement climatique.


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Justin Dargin, COP29 : en route vers Bakou (entretien avec Gabriel Lagrange), Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 10 juillet 2024.

Avertissement

Les opinions exprimées n'engagent que leurs auteurs. Ce texte est une traduction effectuée par Lyse Da Costa Montfort de l'entretien originellement publié en langue anglaise.


Gabriel Lagrange – La COP28 a été l'une des COP les plus médiatisées en raison de son importance en termes d'agenda et de l'identité du pays hôte, les Émirats arabes unis. Quelle est votre analyse de la COP28 ?

Justin Dargin - La COP28 a été remarquable parce que c'est la première fois que les combustibles fossiles ont été explicitement mentionnés dans le document final. Cela ne signifie pas pour autant que la production et la demande de pétrole et de gaz s'arrêteront ou devraient s'arrêter demain. Ce n'est pas possible, car le monde est toujours en transition et a besoin de combustibles fossiles.

L'inclusion d'une référence aux combustibles fossiles reflète des compromis et des négociations stratégiques. Les grands producteurs de pétrole du Golfe et l'OPEP se sont opposés à une formulation les ciblant explicitement, arguant qu'elle s'éloignait de l'objectif principal de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L'accord de la COP28 a suscité des critiques de la part d'États très vulnérables qui le considéraient comme truffé d'échappatoires. Il a finalement abouti à un consensus fragile, reflétant les réalités de la navigation dans l'action climatique mondiale. L'accord fait référence à la « transition vers l'abandon des combustibles fossiles » comme objectif clé, ce qui est l'un des termes les plus faibles qui soient [1]. Je considère toutefois cette formulation comme une forme de « normalisation géostratégique », une stratégie linguistique visant à influencer les normes internationales. Bien qu'ambitieux dans ses objectifs, l'accord de la COP28 manquait de spécificités, telles qu'un calendrier ou des réductions quantifiables. Cette ambiguïté a offert une certaine flexibilité aux pays du Golfe.

Les pays du Golfe ont insisté sur les technologies à faible teneur en carbone [2], qui constituent un point d'entrée pour les technologies de captage et de stockage du carbone (CSC), car elles permettraient de poursuivre l'exploitation et la consommation, ou l'utilisation, des combustibles fossiles. Un autre élément important était la « réduction progressive du charbon non traité » (article 28-b), mais cela n'est pas nécessairement important pour les pays du Golfe par rapport à l'Inde ou à la Chine. Un élément essentiel de l'accord de la COP28 est la mention de la lutte contre les subventions aux carburants inefficaces. Cet élément est particulièrement important pour les États du Golfe, où le gaz naturel a toujours été une matière première industrielle essentielle, alimentée par la richesse générée par l'embargo de 1973 de l'OAPEC. L'un des principaux points de discorde pour de nombreux acteurs réside dans les subventions perçues comme étant intégrées dans les prix du gaz naturel et de l'électricité dans la région du Golfe. Les critiques affirment que ces prix bas confèrent aux fabricants basés dans le Golfe un avantage déloyal dans le commerce mondial en raison de ce qu'ils considèrent comme des coûts de production artificiellement réduits. Les pays en développement riches en énergie, en particulier ceux du Golfe, s'opposent avec véhémence à ce que leurs prix du gaz naturel et de l'électricité soient considérés comme des subventions. Ils estiment que cette qualification pourrait entraver leurs efforts d'industrialisation et de diversification économique, qui sont essentiels dans un monde « post-pétrole » qui se profile à l'horizon. L'inclusion dans l'accord de la suppression progressive des subventions aux carburants inefficaces représente une concession de la part des pays du Golfe. Ils considèrent les contraintes liées au carbone et la réforme des subventions comme des obstacles potentiels au développement économique et à la diversification par rapport aux combustibles fossiles, en particulier si l'on considère les industries établies en aval qui dépendent de ces intrants à faible coût.

La formulation mettant l'accent sur une « transition juste, équitable et ordonnée » s'aligne sur un axiome clé souvent exprimé par les pays du Golfe. Ils interprètent cela comme une flexibilité dans la réalisation des objectifs climatiques, permettant potentiellement la poursuite de la production pétrolière dans le cadre des stratégies nationales de développement. Selon certains, cette interprétation pourrait revenir à dire « rédigez le contrat que vous voulez, mais permettez-moi de l'interpréter », ce qui suscite des inquiétudes dans certains milieux quant à l'absence d'un véritable engagement en faveur de la lutte contre le changement climatique.

Si l'accent mis par les pays du Golfe sur une « transition juste, équitable et ordonnée » soulève des inquiétudes quant au rythme de la décarbonisation, il est important de reconnaître les mesures concrètes qu'ils ont prises. Contrairement à un simple « greenwashing », ils investissent manifestement des milliards dans les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire en entreprenant des efforts de décarbonisation au niveau national. Un point de désaccord majeur demeure cependant : leur engagement continu à exporter autant de pétrole que possible. Cet accent mis sur les exportations de combustibles fossiles ne cadre pas avec la rhétorique d'une « transition juste » prônée par certains activistes climatiques. Les critiques soutiennent que la maximisation de la production de pétrole est en contradiction avec une véritable action en faveur du climat et suggèrent de procéder en deux temps : investir dans les énergies propres au niveau national tout en continuant à exporter comme si de rien n'était.

Le colonialisme climatique était une autre question clé examinée lors des COP27 et COP28. Ce concept a néanmoins été intégré dans toutes les négociations multilatérales sur l'environnement depuis le début des négociations mondiales sur l'environnement dans les années 1970. Le principal argument des pays en développement portait sur la responsabilité historique des pays développés, à savoir qu'ils sont responsables de la plupart des émissions mondiales de carbone et que, par conséquent, les pays en développement ne devraient pas en porter la responsabilité. Dans le cadre de ce débat, les pays en développement ont perçu les négociations internationales sur le climat comme un moyen de perturber leurs programmes d'industrialisation, en particulier les pays riches en énergie.

Malgré les critiques formulées à l'encontre d'un texte final qualifié de « faible », la COP28 reste importante. D'un point de vue global, l'accord reflète un environnement réglementaire de plus en plus strict, qui limite en fin de compte l'exploitation des combustibles fossiles. Cette dynamique met en évidence le « paradoxe vert » des COP : les négociations internationales sur le climat, tout en visant à réduire les émissions, peuvent inciter à une augmentation à court terme de la production, les producteurs s'efforçant de maximiser leurs profits avant que leurs actifs ne s'échouent. Les Émirats arabes unis, par exemple, constituent une étude de cas du « paradoxe vert ». L'objectif ambitieux d'ADNOC d'augmenter sa production de pétrole à 5 millions de barils par jour d'ici 2027, soutenu par un plan de dépenses de 150 milliards de dollars, semble en contradiction avec son positionnement leader en matière d'investissement dans les énergies renouvelables. Cette stratégie témoigne d'une volonté de maximiser la production de pétrole avant le déclin de la demande. En substance, les Émirats arabes unis poursuivent la décarbonisation de leur pays tout en donnant la priorité aux exportations de pétrole afin d'engranger un maximum de revenus avant que la fenêtre ne se referme.

G.L - Pour aller de l'avant, la COP29 se tiendra à Bakou en novembre 2024. Après une COP très politique à Dubaï, la COP29 doit encore adopter des décisions importantes. Quelles sont vos attentes à son l'égard ? À quoi ressemblerait une COP29 réussie ?

J.D - Alors que la fenêtre de dépendance aux combustibles fossiles se rétrécit, le conflit potentiel entre les pays producteurs de pétrole et la communauté internationale s'intensifie. L'Azerbaïdjan, qui dépend fortement des combustibles fossiles (90 % de son budget national) et qui est à la traîne en matière de décarbonisation par rapport à ses voisins du Golfe, illustre cette vulnérabilité. La COP29 se trouve à un moment critique. L'Azerbaïdjan a déjà pris position en faveur de la poursuite des investissements dans les combustibles fossiles au cours de la transition énergétique mettant en avant les récents efforts de l'Europe pour diversifier ses importations d'énergie comme preuve de cette nécessité.

Les décisions relatives au financement de la lutte contre le changement climatique, qui pourrait constituer une bouée de sauvetage pour des pays comme l'Azerbaïdjan pendant la transition, seront une priorité absolue. Les États s'engageront probablement dans d'intenses négociations pour établir un nouvel objectif de financement de la lutte contre le changement climatique, qui remplacera l'objectif de 100 milliards de dollars fixé à Copenhague (COP15) en 2009 et qui est arrivé à expiration. Garantir un financement adéquat de la lutte contre le changement climatique reste une pierre d'achoppement majeur. Les pays développés sont confrontés à une double contrainte : honorer les engagements existants tout en luttant contre la « lassitude des donateurs » dans leur pays. Dans le même temps, ils exhortent les pays en développement, déjà aux prises avec les effets du changement climatique, à assumer une plus grande part du fardeau financier.

Une solution potentielle émerge de l'Azerbaïdjan : le mécanisme financier Nord-Sud. Cette proposition préconise un prélèvement sur la production de pétrole, de gaz et de charbon pour financer des initiatives en faveur du climat. Les producteurs de combustibles fossiles participants verseraient une partie de leurs revenus à un fonds dédié, agissant en tant qu'actionnaires et recevant potentiellement des bénéfices de ces investissements dans des projets climatiques. Les groupes de défense de l'environnement considèrent toutefois cette proposition avec un certain scepticisme, craignant qu'elle ne soit un moyen de légitimer la poursuite de l'extraction des combustibles fossiles sous le couvert de l'action en faveur du climat. La proposition de l'Azerbaïdjan est confrontée à un avenir incertain.

L'argument de la responsabilité historique, pilier des pays en développement riches en pétrole lors des négociations passées, risque de refaire surface. Auparavant, les pays en développement relativement riches, tels que l'Arabie saoudite, s'appuyaient sur le G-77 pour plaider en faveur de l'octroi de financements climatiques à titre de compensation pour les émissions passées et de soutien à une industrialisation à faible intensité de carbone. Des indications récentes suggèrent cependant que les pays du Golfe, y compris l'Arabie saoudite, semblent changer d'approche.

Le succès de la COP29 dépend de la prise en compte des réalités des pays producteurs de pétrole. Si tout le monde doit reconnaître publiquement la crise climatique et viser des réductions d'émissions ambitieuses, le compromis est essentiel. Les pays riches en pétrole pourraient accepter des limites plus strictes en dehors du secteur des combustibles fossiles, si les pays développés reconnaissent leur dépendance à l'égard de cette ressource pendant la transition. Les pays développés doivent également reconnaître l'incohérence potentielle de leurs propres exigences. Faire pression, par exemple, sur les pays producteurs de pétrole pour qu'ils réduisent leurs exportations, des cas tels que l'administration Biden faisant pression sur l'OPEP+ pour qu'elle augmente sa production ou l'UE soutenant l'augmentation de la production d'hydrocarbures en Afrique tout en encourageant simultanément l'augmentation de la production dans d'autres régions, compromet le message cohérent nécessaire pour progresser au cours des négociations.

Une COP29 réussie devrait, par conséquent, établir une feuille de route claire pour l'élimination progressive des combustibles fossiles, en mettant l'accent sur une « transition juste » qui tienne compte de la dépendance économique des pays riches en pétrole. Cela pourrait impliquer des investissements beaucoup plus importants dans les énergies renouvelables et la diversification des économies en développement. La conférence devrait en outre renforcer les mécanismes de responsabilité et de transparence, en veillant à ce que tous les pays fassent l'objet d'un suivi et rendent compte de leurs émissions et de leurs actions en faveur du climat de manière efficace.

Il est essentiel de favoriser un esprit de coopération et de confiance entre les pays développés et les pays en développement. La confiance est un élément qui fait défaut depuis le début des négociations mondiales sur le climat. Reconnaître les défis spécifiques auxquels sont confrontées les pays riches en pétrole et trouver des solutions qui répondent à leurs préoccupations est la base de la construction d'un consensus. Il est néanmoins important de se rappeler qu'une COP29 « réussie » n'atteindra peut-être pas tous ces objectifs à la perfection. Tout progrès sur ces fronts, en particulier avec la participation des pays riches en pétrole, constituerait une avancée significative dans la lutte contre le changement climatique.

G.L - Selon l'ordre du jour officiel annoncé précédemment, la priorité de la COP29 sera de maintenir l'objectif de 1,5°C à portée de main, mais l'Azerbaïdjan défend toujours les investissements dans le pétrole et le gaz. Est-ce compatible ?

J.D - L'objectif de 1,5°C et l'exploitation continue des hydrocarbures semblent intrinsèquement contradictoires. Certains voient toutefois un avantage potentiel à ce que les pays producteurs d'hydrocarbures accueillent les réunions de la COP. Les projecteurs braqués sur le pays hôte l'obligent à présenter explicitement ses plans de décarbonisation. L'Azerbaïdjan, qui dépend fortement des revenus des combustibles fossiles, illustre bien cette tension. Contrairement aux Émirats arabes unis lors de la COP28, l'Azerbaïdjan pourrait être plus enclin à défendre sa dépendance aux hydrocarbures lors de la conférence.

G.L - L'Azerbaïdjan semble très attaché à la sécurité climatique lors de la COP29, embrassant la volonté d'être une « trêve de la COP ». Quelle est la voie à suivre ? Quels pourraient être les principaux obstacles ?

J.D - Les accords internationaux sont souvent dépourvus de mécanismes d'application solides, reposant sur des tactiques de dénonciation en cas de non-respect. Le simple fait d'accepter un accord crée une pression. Même si un pays doute de sa capacité à atteindre les objectifs, l'accord fixe une norme et l'oblige à s'améliorer progressivement. Le concept de « multiplicateur de menace » associe de plus en plus le changement climatique aux préoccupations en matière de sécurité. Le ministère américain de la Défense, par exemple, a commencé à intégrer le changement climatique dans les scénarios de planification militaire en 2008-2009. En conséquence, les références au climat sont devenues plus importantes dans les lignes directrices militaires et les exigences opérationnelles.

La guerre d'Ukraine a encore mis en évidence la question des émissions et des compensations liées aux conflits. La déclaration ambitieuse signée l'année dernière pourrait servir de base à de futurs accords formels portant sur ces questions.

G.L - Alors que les Émirats arabes unis tentent de développer un leadership environnemental et climatique, des tensions sont apparues au sein des coalitions arabes, de l'OPEP et du CCG. Ces groupes développent-ils toujours une position commune sur le changement climatique ? Les Émirats arabes unis peuvent-ils détrôner l'Afrique du Sud en tant que chef de file du groupe arabe, du Golfe et de l'OPEP en matière de climat ?

J.D - L'Arabie saoudite exerce une influence considérable au sein de diverses coalitions pertinentes pour les négociations internationales sur le climat, notamment le G-77, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), l'OPEP, le groupe des pays en développement animés du même esprit, le G20 et le groupe arabe. Cette influence lui permet de défendre les intérêts des pays en développement riches en pétrole. Des tensions apparaissent toutefois en raison des grandes disparités qui existent au sein du monde en développement. Des pays comme l'Arabie saoudite et la Namibie ont des priorités économiques fondamentalement différentes, ce qui met en évidence les difficultés inhérentes à la constitution d'un front uni. Les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, bien qu'ils soient tous deux tributaires du pétrole, ont des approches différentes des négociations sur le climat. Les Émirats arabes unis privilégient la bonne volonté internationale et se présentent comme un leader en matière d'énergies renouvelables. Bien que cela n'exclue pas la poursuite de la production de pétrole, cela favorise une image plus conciliante. L'Arabie saoudite, en revanche, défend ouvertement ses intérêts pétroliers à la table des négociations.

L'Azerbaïdjan, qui accueillera prochainement la COP29, présente un cas intéressant. Il est presque certain qu'il adoptera une position encore plus favorable aux combustibles fossiles que les positions antérieures de l'Arabie saoudite.

Même si les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite sont alignés et collaborent sur de nombreux sujets, la concurrence pour le pouvoir et l'influence régionale entre ces deux pays s'étend au-delà des sphères économiques traditionnelles : elle englobe désormais la « diplomatie verte ». Les Émirats arabes unis cultivent activement leur image de leader vert, attirant des entreprises multinationales et se positionnant comme un centre économique et fiscal grâce à des initiatives dans le domaine des énergies renouvelables. Cette ambition remet directement en cause la domination historique de l'Arabie saoudite.

Malgré cette concurrence stratégique, un alignement plus large persiste au sein de l'OPEP en ce qui concerne le changement climatique. Les pays membres, dont l'Arabie saoudite, donnent généralement la priorité à leur dépendance économique vis-à-vis du pétrole. Ils utilisent souvent l'argument du « colonialisme climatique », arguant que les nations développées ont historiquement bénéficié des combustibles fossiles et devraient assumer une plus grande responsabilité en matière de réduction des émissions.

La façade de l'unité de l'OPEP concernant le changement climatique s'est fissurée lors de la COP28. La promotion active des initiatives vertes par les Émirats arabes unis contrastait fortement avec la position de l'Arabie saoudite, même si le Royaume a mis en avant ses investissements verts. Cette dissonance a rendu les Émirats arabes unis plus vulnérables lors des négociations. La position de négociation d'un pays s'affaiblit considérablement lorsque ses actions contredisent ses déclarations. À l'inverse, un pays qui poursuit ouvertement ses propres intérêts, comme le maintien des exportations de pétrole, peut potentiellement faire face à moins de critiques, car ses objectifs sont transparents.

L'approche des Émirats arabes unis ne signifie pas nécessairement une rupture permanente avec l'OPEP. Il s'agit plutôt de la manière dont chaque pays choisit d'opérer au sein de l'organisation. Malgré leurs stratégies contrastées, la « tactique verte » des Émirats arabes unis et l'accent mis par l'Arabie saoudite sur le pétrole, les deux pays partagent probablement les mêmes objectifs ultimes de prospérité économique et d'influence mondiale, tout en essayant de maximiser autant que possible les revenus générés par leurs exportations de pétrole.

G.L - Nous savons que les États pétroliers sont particulièrement réticents et conservateurs lors de la COP, car toute décision peut nuire à leurs intérêts économiques nationaux. Quels sont les leviers ou les points d'entrée qui permettent à la communauté internationale de faire pression et de plaider en faveur d'un renforcement des efforts climatiques des États pétroliers ?

J.D - Un engagement efficace avec l'Arabie saoudite sur le changement climatique nécessite une compréhension nuancée de l'évolution de sa position. L'époque du début des années 2000, où les pays du Golfe comme l'Arabie saoudite rejetaient totalement la science du climat, est révolue. Leur récent engagement dans les efforts nationaux de décarbonisation représente un changement significatif, que l'on pourrait même qualifier de psychologique. Le fait qu'ils aient reconnu le rôle des combustibles fossiles lors de la COP28 laisse entrevoir une volonté potentielle de faire des concessions.

Pour tirer parti de cette évolution, la poursuite de la coopération internationale est essentielle. Nous devons établir des canaux de communication ouverts pour comprendre les priorités de l'Arabie saoudite et explorer des compromis mutuellement bénéfiques. Le captage et stockage du carbone (CSC) pourrait être un domaine de collaboration potentiel, mais sa viabilité dépend de la démonstration de son efficacité économique et environnementale.

Une autre voie prometteuse de coopération avec l'Arabie saoudite réside dans le financement de la lutte contre le changement climatique. L'apport de ressources financières ciblées peut inciter les Saoudiens à abandonner les combustibles fossiles. Ce soutien pourrait être canalisé non seulement par les mécanismes multilatéraux traditionnels, mais aussi par des accords bilatéraux d'investissement et de partage des technologies. Cette approche dépend toutefois d'un engagement significatif de la part des pays développés. Elles doivent non seulement respecter leurs engagements actuels en matière de financement de la lutte contre le changement climatique, mais aussi les élargir afin de faire preuve d'un véritable partenariat.

La perception des négociations de la COP comme un jeu à somme nulle, où les gains d'une partie se font au détriment d'une autre, reste un obstacle important. En répondant aux préoccupations de l'Arabie saoudite par une communication ouverte, en explorant des domaines de collaboration potentielle tels que le CSC et le financement de la lutte contre le changement climatique et en démontrant un engagement fort de la part des pays développés, nous pouvons aller au-delà de cette perception et favoriser une approche plus collaborative de l'action climatique. Comme l'a déclaré l'économiste Thomas Sowell, il n'y a pas de solutions, seulement des compromis.

G.L - Vous publierez en 2025 votre prochain ouvrage intitulé « The Gulf's Climate Reckoning : Decarbonization, Development, and the Future of the Petro-States » [3]. Pouvez-vous nous donner un peu plus d'informations à ce sujet ?

J.D - Mon livre démonte l'image dépassée des États du Golfe en tant que défenseurs inébranlables des combustibles fossiles. Il dévoile un changement surprenant : ces pays riches en pétrole reconnaissent de plus en plus que la décarbonisation n'est pas seulement un impératif environnemental, mais une mesure stratégique pour assurer leur prospérité économique à long terme et, en fin de compte, leur sécurité nationale.

L'ouvrage retrace cette évolution depuis les années 1960, lorsque la création de l'OPEP a fait des hydrocarbures le pivot du pouvoir économique et géopolitique des pays en développement riches en pétrole, en particulier dans le Golfe. Ces pays ont tiré parti de leurs vastes réserves pétrolières pour alimenter une industrialisation rapide, s'imposer sur la scène mondiale et accumuler d'immenses richesses.

L'embargo pétrolier de 1973, s'il a d'abord été une aubaine financière pour les États du Golfe, a également jeté les bases d'une révolution conceptuelle : la dépendance excessive à l'égard d'une seule ressource était intrinsèquement dangereuse sur le plan économique. Cette vulnérabilité est devenue douloureusement évidente lors des pénuries de gaz naturel de la fin des années 2000, qui ont menacé de faire dérailler leurs ambitieux plans de croissance macroéconomique. Les troubles sociopolitiques du printemps arabe ont agi comme un puissant catalyseur de changement dans le Golfe. Témoins des soulèvements dans les pays voisins, les États du Golfe ont reconnu la nécessité de réévaluer leur modèle économique. Les modes de consommation non durables d'hydrocarbures n'étaient pas seulement une préoccupation environnementale ; ils pesaient lourdement sur leurs trésoreries.

Cette prise de conscience, associée à la menace à long terme d'une dépendance excessive à l'égard d'une seule ressource, a redéfini la sécurité nationale des États du Golfe. La décarbonisation est apparue comme une stratégie essentielle, non seulement pour des raisons environnementales, mais aussi pour garantir la stabilité sociopolitique et économique nationale et éviter une dépendance potentiellement catastrophique à l'égard d'un marché pétrolier en déclin.

Mon livre va au-delà du contexte historique et explore les forces actuelles qui façonnent le pivot surprenant du Golfe vers la décarbonisation. L'un des principaux moteurs est l'évolution du paysage géopolitique, où la sécurité et la diversification énergétiques sont primordiales. L'ouvrage étudie également la manière dont ces pays tirent parti de la diplomatie climatique pour renforcer leur position sur la scène internationale. Cela inclut des investissements verts ciblés dans des régions en développement comme l'Afrique, montrant que les objectifs économiques et écologiques peuvent être imbriqués et créer une dynamique de renforcement mutuel pour construire un avenir durable.

Je vais également au-delà de l'histoire et je propose des idées pratiques pour l'avenir. En m'appuyant sur des recherches approfondies, je recommande des conceptions optimales pour les systèmes nationaux d'échange de droits d'émission de carbone, un outil essentiel pour gérer leur propre parcours de décarbonisation.

En ce qui concerne l'avenir, l'ouvrage analyse les impacts sociaux et économiques potentiels de ces politiques au cours des 10 à 15 prochaines années, dans le contexte d'un paysage géopolitique en constante évolution.


[1] L'article 28-d de l'inventaire global de la COP28 : « invite les parties à contribuer à [...] l'abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, de manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action au cours de cette décennie critique, de manière à parvenir à une consommation nette nulle d'ici à 2050, conformément aux données scientifiques ».

[2] L'art. 28-e de l'inventaire global de la COP28 « appelle les parties à contribuer à [...] l'accélération des technologies à zéro ou à faible émission, y compris, entre autres, les énergies renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et d'élimination telles que la capture et l'utilisation du carbone et le stockage ».

[3] Le bilan climatique du Golfe : décarbonisation, développement et avenir des États pétroliers.


Pour aller plus loin