Entretien avec le Général Richard Lizurey, ancien Directeur général de la Gendarmerie nationale
Entretien réalisé par Florian Bunoust-Becques, Directeur du Pôle Armées de Notre Centre de recherche.
Le Général Richard Lizurey.
Florian Bunoust-Becques : Mon Général, le 15 octobre 2019, vous faisiez vos adieux aux armes après trois ans à la tête de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) et 41 ans de service. Quel sentiment vous a le plus marqué lors de cette cérémonie dans la Cour des Invalides ?
Richard Lizurey : La cérémonie d'adieu aux armes, présidée par la ministre des Armées et le ministre de l'Intérieur a été un moment unique et symbolique qui marque une étape, la fin d'une forme d'engagement pour aller vers un autre engagement au service des autres. Elle est symbolique de la double appartenance de la Gendarmerie à la culture militaire et à celle de la sécurité intérieure.
Le sentiment qui m'a le plus marqué est celui de la reconnaissance, celui d'avoir eu la chance de travailler avec et pour des gens formidables. L'état d'esprit de nos personnels, de tous les personnels de la Gendarmerie, militaires d'active et de réserve ou personnels civils, est exceptionnel et notre pays a de la chance de les avoir.
Reconnaissance envers tous les personnels de la Gendarmerie, dont j'ai souhaité qu'ils soient représentés dans leur diversité à travers un(e) représentant(e) de chaque statut et chaque métier. C'est leur engagement quotidien qui fait la force collective de la « maison » Gendarmerie. Dans tous les coups durs, le gendarme répond présent. Je suis fier d'avoir pu travailler, tout au long de ces quarante-et- unes années, avec des personnels formidables qui placent le service des autres au-dessus de tout.
F. B-B : En septembre 2016 vous succédez au Général Denis FAVIER dans un contexte de tension sécuritaire intérieure marqué par les attentats terroristes islamistes de janvier et novembre 2015. Rapidement, vous annoncez vouloir créer des brigades de gendarmes au contact de la population. Quelle a été la genèse de cette décision et quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ?
R.L : La proximité avec la population qu'il est chargé de protéger est la condition sine qua non de l'efficacité opérationnelle du gendarme. Le contact est l'ADN du gendarme et il était indispensable de le retrouver. Un constat était partagé par nombre d'acteurs : l'éloignement progressif de nos concitoyens qui se sentaient oubliés. Une nécessité de recherche d'informations afin de déceler les signaux faibles permettant d'anticiper les actions de délinquance ou de terrorisme. La lutte contre la radicalisation suppose d'être en contact avec le corps social pour identifier tout changement de comportement ou toute menace en devenir. Une volonté de replacer le gendarme au cœur de la cité qu'il est chargé de protéger, au plus près du citoyen qui compte sur lui.
La sécurité étant l'affaire de tous, il est essentiel d'associer tous les acteurs, tous les citoyens. Dans ce combat pour la sécurité, personne ne détient la vérité, personne ne peut réussir seul, la réussite est collective, l'action individuelle est vouée à l'échec. Et la seule manière de jouer collectif est d'être intégré dans la population qu'on est chargé de protéger.
Aujourd'hui, je crois que la Gendarmerie est au rendez-vous de cette proximité.
F. B-B : Vous avez évoqué à plusieurs reprises dans vos déclarations publiques que la dimension sociale et humaine revêt une importance centrale pour la gestion des 130.000 hommes et femmes de la Gendarmerie nationale. Quels sont, à votre avis, les grands défis qui attendent cette institution en la matière ?
R.L : Garder le cap de la transformation - la Gendarmerie est l'institution qui s'est la plus transformée depuis dix ans - et de l'innovation. Pour cela, il faut que les personnels aient confiance dans leurs chefs et dans le « système », car on ne transforme pas une institution comme la Gendarmerie sans l'adhésion de la majorité de ses membres. La force de la « maison » est son collectif, cette capacité à agir ensemble, à vivre ensemble, à servir ensemble quel que soit le statut des personnes, d'active ou de réserve, civil ou militaire.
Il paraît également important de développer la résistance et la résilience du gendarme, dans une société qui a tendance à niveler tout le monde vers le bas, vers un confort individuel qui nie le plus souvent l'engagement au service de l'intérêt général.
Il faut que la Gendarmerie garde sa dynamique entre, d'une part, les nécessaires synergies, coopérations ou mutualisations avec les autres institutions et, d'autre part, sa nécessaire singularité liée à un statut militaire qui est un atout pour le gouvernement.
Dans un contexte de banalisation du statut militaire porté par les hauts technocrates, c'est le défi principal.
F. B-B : Au cours des trois années passées à la tête de la Gendarmerie nationale, vous avez dû réaliser certaines mutations d'ampleur pour ce corps d'exception (l'intégration au sein du ministère de l'Intérieur, le mouvement social des gilets jaunes, certaines coupes budgétaires et la prise en compte de la menace numérique dans vos missions). Comme l'a souligné Christophe CASTANER dans son discours, " Vous avez été un chef. Un grand chef pour la Gendarmerie". Quelles sont d'après-vous, les qualités essentielles pour assurer efficacement un tel commandement ?
R.L : Pendant ces trois dernières années, les défis et événements ont été nombreux, en effet, qu'il s'agisse de l'opérationnel (Cyclone IRMA, opération de Notre-Dame- des-Landes, les gilets jaunes, le G7 de Biarritz notamment), des contraintes budgétaires ou de l'extraordinaire transformation numérique.
Nous n'avons réussi à faire face à ces défis grâce à l'adhésion et à l'engagement de nos personnels de tous statuts. Pour réussir dans un poste de commandement, la première des qualités est l'humilité. Il faut toujours se rappeler que celles et ceux qui sont en première ligne ont souvent un avis plus pertinent que le niveau central quant à la réalité de terrain. L'humilité doit donc se conjuguer avec l'écoute de tous, quel que soit leur échelon hiérarchique. Le respect des toutes et de tous est également un élément essentiel, qui se combine avec le commandement bienveillant - qui n'a rien à voir avec la démagogie - et le droit à l'erreur. La capacité à décider et à assumer ses décisions est également un des éléments importants du commandement.
Enfin, la confiance est un des éléments clefs et la confiance doit être réciproque. Pour cela, il faut toujours se rappeler que le commandement n'est ni un abri, ni un pouvoir, c'est un service qu'on rend à une communauté.