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Guerre d’Ukraine : le « signalement stratégique » de la France

28/02/2024

Yohan Briant, directeur général de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.

Alexandre Negrus, président de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.


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Yohan Briant, Alexandre Negrus, Guerre d'Ukraine : le « signalement stratégique » de la France, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 28 février 2024.

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Quatre chefs d'États, dix-sept chefs de gouvernement et six ministres se sont réunis à Paris lundi 26 février 2024, à l'occasion d'une conférence dont l'objectif annoncé était de « remobiliser et examiner tous les moyens de soutenir l'Ukraine efficacement ». Étaient également de la partie le ministre canadien de la Défense ainsi que le sous-secrétaire d'État américain chargé de l'Europe, sans omettre le secrétaire d'État aux Affaires étrangères britannique. La Suède, très prochainement membre de l'Otan, était également représentée. Paris accueillait cette réunion dix jours après avoir signé un accord bilatéral de coopération en matière de sécurité avec l'Ukraine, dans la continuité des engagements pris par le G7 lors du sommet de l'Otan à Vilnius en juillet 2023.

Le spectre du repli américain

Le spectre du repli américain, largement commenté depuis la sortie de Donald Trump sur l'Otan lors d'un discours de campagne, renvoie les Européens à un débat qu'ils ont longtemps négligé, sinon sciemment ignoré.

Cette double séquence parisienne s'inscrit dans un contexte on ne peut plus charnière. L'année 2024 est suspendue à de nombreux scrutins qui pourront s'avérer décisifs sur le champ ukrainien dès 2025. Alors que la ligne de front terrestre est figée dans l'Est de l'Ukraine, la Fédération de Russie sait que le temps joue contre l'Ukraine. Le régime russe, agresseur de l'Ukraine, poursuit sa guerre hybride contre ce qu'il qualifie d' « Occident collectif ». L'invasion à grande échelle de l'Ukraine, en février 2022, a mis en évidence d'importantes faiblesses européennes qui se manifestent sur une double échelle industrielle et capacitaire.

Le spectre du repli américain, largement commenté depuis la sortie de Donald Trump sur l'Otan lors d'un discours de campagne, renvoie les Européens à un débat qu'ils ont longtemps négligé, sinon sciemment ignoré. La présidence Obama aurait déjà dû mettre en état d'alerte les chancelleries européennes, les autorités américaines assumant explicitement leur fameux pivot vers l'Asie. Pire encore, l'administration américaine a froidement reculé face à la ligne rouge fixée au régime de Bachar al-Assad en Syrie quant à l'utilisation d'armes chimiques par ce dernier dans la nuit du 21 août 2013 dans la Ghouta. Quelques mois plus tard, en février 2014, la Russie entrait en Crimée, Vladimir Poutine ayant compris des années durant qu'il pouvait sans cesse repousser les limites de l'acceptable.

Le changement de ton de la France

Deux ans plus tard, le ton a changé. La France ne se contente plus d'appeler timidement à une victoire ukrainienne, elle se projette dans la dimension d'une défaite russe.

La guerre conventionnelle déclenchée le 24 février 2022 constitue un nouveau tournant. Confrontée à la prégnance de la menace russe et à la perspective d'un repli américain, il est encore possible pour l'Union européenne de repousser l'agresseur russe, à condition d'une prise de conscience généralisée des enjeux de cette guerre qui en définitive, constitue bien plus qu'un affrontement armé entre l'Ukraine et la Russie. S'inscrivant dans une logique impérialiste, le Kremlin entend asservir l'Ukraine dont il nie la souveraineté. Pour Moscou, la guerre dépasse clairement l'objectif ukrainien. Ses ambitions n'ont pas été abandonnées et une Russie victorieuse en Ukraine ne manquerait pas de conduire Vladimir Poutine à renouveler son entreprise d'agression. C'est précisément dans ce contexte qu'il convient de replacer les propos d'Emmanuel Macron à l'issue de la conférence de Paris du 26 février 2024, dont l'élément le plus important ne réside pas dans l'évocation d'un envoi de troupes en Ukraine, mais dans son appel à la défaite de la Russie. Habitué des déclarations à l'emporte-pièce, Emmanuel Macron a vraisemblablement pesé ses mots.

Depuis 2022, les propos du président français ont été entachés d'ambiguïté, déclarant qu'il ne fallait pas humilier Vladimir Poutine (reprenant la rhétorique de ce dernier par laquelle il a justifié son agression de l'Ukraine), tout en évoquant à contre-courant des « garanties de sécurité pour la Russie ». Deux ans plus tard, le ton a changé. La France ne se contente plus d'appeler timidement à une victoire ukrainienne, elle se projette dans la dimension d'une défaite russe. Loin d'appeler à l'envoi de troupes combattantes, les déclarations d'Emmanuel Macron servent à ancrer la France dans une initiative européenne, tout en soulignant la nécessité d'appréhender le conflit de façon politique. L'objectif ne consisterait plus à aider l'Ukraine à résister, mais à vaincre. Pour les Européens, la victoire ne peut se limiter à l'arrêt des combats, mais à la défaite d'une rhétorique basée sur le rapport de force, le mépris pour le dialogue et les normes internationales. Cela justifie la nécessité de continuer à agir en faveur d'un consensus européen, même si l'évolution de la situation sur le terrain doit non seulement contraindre l'Union européenne à accélérer sa prise de décision, mais également à anticiper les besoins ukrainiens.

Une posture dissuasive

Après la guerre des stocks, les belligérants sont entrés dans une nouvelle phase, celle de la reconstitution de leurs capacités. Leur ascendant dépendra de leur profondeur stratégique.

Souffrant d'un complexe de supériorité, la Russie a pensé faire chuter le régime ukrainien dans les premiers jours de la guerre d'invasion généralisée. La véritable surprise stratégique de la guerre d'Ukraine n'a pas été l'invasion de février 2024 (abondamment annoncée par l'Otan et les services de renseignement américains à la faveur d'une déclassification historique de leurs informations peu avant l'attaque), mais la capacité de résistance de l'armée ukrainienne.

Aujourd'hui, plus d'un sixième du territoire ukrainien est occupé, soit environ 18 % du pays. Après la guerre des stocks, les belligérants sont entrés dans une nouvelle phase, celle de la reconstitution de leurs capacités. Leur ascendant dépendra de leur profondeur stratégique. Celle de la Russie consiste en son entente avec la Corée du Nord et l'Iran, qui lui fournissent une assistance militaire. Ces trois États contournent ensemble les sanctions qui leurs sont appliquées par les Occidentaux. La Russie peut en outre bénéficier d'un soutien politique et économique de la Chine, qui risque à plus long terme de largement se retourner à son désavantage tant cette relation est déséquilibrée en faveur des autorités chinoises. En tout état de cause, le camp occidental a misé, à tort, sur un effondrement économique, politique et social de la Russie. La profondeur stratégique de l'Ukraine réside dans le soutien que lui apportent les Américains et les Européens, dans le cadre d'une guerre de haute et longue intensité, où l'endurance stratégique compte avant tout. Cela nécessite de renforcer les capacités militaro-industrielles, pour reconstituer des stocks d'armes et de munitions. Avec l'effritement du soutien militaire américain, dont les effets se font ressentir, un changement de paradigme est à l'œuvre, en ce que l'objectif n'est plus de contribuer à l'effort de guerre ukrainien, mais de remplacer l'aide américaine. C'est un véritable test stratégique pour l'Union européenne et un moment de vérité du concept d'autonomie stratégique.

La conférence de Paris du 26 février 2024 a été l'occasion d'effectuer un signalement stratégique, d'adopter une posture de dissuasion conventionnelle et d'ambiguïté stratégique

La guerre demeure un affrontement des volontés et des forces morales. Le temps des réarmements a sonné et le président français a voulu envoyer un message à la Russie et à tous les Européens : ce qui se joue n'est pas uniquement une guerre entre la Russie et l'Ukraine. Se préparer sur le temps long, tel est l'objectif après tant d'années d'aveuglement et de négation de la géopolitique. Si une série d'efforts, certes insuffisants, ont déjà été entrepris dans les domaines économiques et industriels, l'Union européenne ne peut plus se contenter d'évoluer dans un cadre élaboré lors de ses décennies d'aveuglement. À ce titre, les principaux décideurs européens doivent œuvrer, en urgence, à apporter une réponse satisfaisante à la détresse des populations qui sont de plus en plus nombreuses à faire le choix de la rupture, y compris avec la démocratie représentative. Les manœuvres de désinformation et de déstabilisation russes ne peuvent fleurir qu'à la condition de trouver un terreau fertile dans lequel prendre racine. La guerre ne cessera sans qu'un véritable rapport de force soit opposé au Kremlin. Dans le cas contraire, il pensera pouvoir soumettre de nouvelles proies. La conférence de Paris du 26 février 2024 a été l'occasion d'effectuer un signalement stratégique, d'adopter une posture de dissuasion conventionnelle et d'ambiguïté stratégique. Au-delà des discours, les États européens doivent faire preuve de crédibilité. Cela passe par des budgets conséquents et des livraisons d'armes. 


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