L’OTAN à Vilnius : un sommet ingrat mais révélateur
Olivier Sueur, chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée, ancien sous-directeur OTAN, Union européenne et ONU au ministère des Armées.
Comment citer cet article
Olivier Sueur, L'OTAN à Vilnius : un sommet ingrat mais révélateur, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 26 juillet 2023.
Avertissement
Les propos exprimés dans cet article n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
L'OTAN a tenu son sommet de Vilnius les 11 et 12 juillet 2023 : qu'en penser ? Nous pourrions faire nôtre la formule de Francis Picabia, « Le succès de l'insuccès est un succès ». Son seul résultat concret est l'accord sur l'adhésion de la Suède, sous réserve de la ratification du Parlement turc, mais sa tenue même en constitue la réussite intrinsèque tandis que le traitement de l'Ukraine est révélateur des choix stratégiques des États-Unis.
Coincé entre l'exceptionnalité de l'année 2022 et les multiples échéances de 2024, Vilnius 2023 ne pouvait être qu'un rendez-vous de transition.
Soyons honnêtes, la tâche était difficile. Coincé entre l'exceptionnalité de l'année 2022 et les multiples échéances de 2024, Vilnius 2023 ne pouvait être qu'un rendez-vous de transition. Le sommet de Madrid de juin 2022, quatre mois après l'agression de l'Ukraine par la Russie et ses répercussions mondiales, a été marqué d'une intensité particulièrement vive, encore renforcée par l'adoption du Concept stratégique de l'Alliance, document clé qui fixe des orientations décennales et fait de la Russie « la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés ». De même, 2024 apparaît riche en échéances : 75ème anniversaire de l'OTAN et donc réunion des chefs d'État et de gouvernement à Washington, élections présidentielles russes et ukrainiennes, élections européennes et, en apothéose, élections présidentielles américaines en novembre avec le risque de retour d'une présidence républicaine concentrée sur l'Indopacifique au détriment de l'Europe. Dès lors, tout demeure suspendu : le devenir de l'Ukraine, la relation à la Chine, le niveau des dépenses de défense, l'équilibre entre OTAN et Union européenne. Même pour le mandat de Secrétaire général qui arrivait à échéance, il a été jugé préférable de prolonger le titulaire d'un an, en attendant…
Vilnius 2023 est néanmoins un succès pour la bonne et simple raison que le sommet s'est tenu. Pour bien le comprendre, il convient de revenir à la raison d'être de l'organisation, à savoir la défense collective de ses membres qui s'exprime dans l'article 5 du traité de l'Atlantique nord. En pratique, l'OTAN repose sur la croyance partagée que les « gros » États se porteront au secours des « petits » États si ces derniers sont attaqués, et bien entendu que le plus « gros », les États-Unis, viendra en aide au continent européen. Soyons clairs, il s'agit d'un acte de foi : nous ne sommes pas à l'Union européenne, il n'y a pas de cour de justice de l'OTAN devant laquelle porter plainte si cela ne fonctionne pas, aucun service après-vente ne sera joignable si les États-Unis sonnent occupés. C'est ce que tous ont craint pendant les quatre années de mandat de Donald Trump. La réaffirmation de cette croyance est la clé de voûte de chaque sommet et, au vu du contexte international, il était impératif de l'exprimer publiquement en 2023. L'administration Biden étant sur ce sujet d'une fiabilité à toute épreuve, c'est désormais chose faite dès le premier paragraphe du communiqué de Vilnius : « Nous réaffirmons notre engagement sans faille à nous défendre les uns les autres et à défendre chaque centimètre carré du territoire de l'Alliance ».
La neutralité de l'Ukraine reste pour Washington une option de négociation de paix, renforçant l'hypothèse d'un scénario finlandais
Enfin, sur l'Ukraine, le sommet est révélateur des choix stratégiques des États-Unis. Il n'y a cette fois pas d'ambiguïté comme en 2008 : c'est non et c'est un non américain. Ni chemin vers l'adhésion, ni garanties de sécurité, ni modèle israélien : ce sera assistance militaire, transformation de la commission OTAN-Ukraine en conseil OTAN-Ukraine, processus d'adhésion en une seule étape au lieu de deux. Toutefois, comme l'indique le communiqué du sommet : « Nous serons en mesure d'adresser à l'Ukraine une invitation à rejoindre l'Alliance lorsque les Alliés l'auront décidé et que les conditions seront réunies ». Le Secrétaire général de l'OTAN a fini par être plus direct lors de la conférence de presse : « quand une guerre est en cours, ce n'est pas le moment de faire de l'Ukraine un membre à part entière de l'Alliance ». De manière compréhensible, la réaction du président Zelensky est vive, mais pourquoi ce choix américain ? Le rapport bénéfices/risques est en fait très défavorable. Garantir la sécurité de l'Ukraine serait à même d'entraîner les États-Unis dans un conflit contre la Russie avec une potentielle escalade nucléaire, alors même que leur priorité est l'Indopacifique avec la Chine. De plus, le bénéfice militaire d'avoir l'Ukraine dans l'Alliance est considéré comme marginal vu de l'autre côté de l'Atlantique. Cela signifie enfin que la neutralité de l'Ukraine reste pour Washington une option de négociation de paix, renforçant l'hypothèse d'un scénario finlandais.