L’Unesco face au changement climatique
Juliette Podglajen, responsable du département diplomatie culturelle et intercutluralité de l'Institut d'études de géopolitique appliquée s'est entretenue avec Chloé Maurel, historienne spécialiste de l'ONU et de ses agences, rédactrice en chef de la revue Recherches internationales et auteure notamment de : Histoire de l'Unesco (2010), Histoire des idées des Nations unies (2015), et des Grands Discours à l'Unesco de 1945 à nos jours (2021).
Comment citer cet entretien :
Chloé Maurel (entretien avec Juliette Podglajen), « L'Unesco face au changement climatique », Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, Janvier 2023, URL : https://www.institut-ega.org/l/l-unesco-face-au-changement-climatique/
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L'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), créée en 1945, a pour objectif de « contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l'éducation, la science et la culture, la collaboration entre les nations ». Dès sa création, elle a également investi un domaine qui n'était pas présent dans son acte constitutif, « la conservation de la nature ». Son action en faveur de l'environnement s'est renforcée au cours des décennies, notamment avec la mise en valeur du patrimoine naturel et le programme « L'Homme et la Biosphère ». L'Unesco semble ainsi avoir à cœur d'inscrire son travail dans le respect de l'environnement et des objectifs de développement durable, alimentant la réflexion sur le rôle de l'éducation, de la science et de la culture pour faire face au changement climatique.
Juliette Podglajen - La charte constitutive de l'Unesco énonce que « les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Comment cet objectif de paix a-t-il été adapté pour permettre le travail de l'Unesco sur les thématiques environnementales ?
Chloé Maurel - L'Unesco, créée en 1945, se préoccupe depuis longtemps de l'environnement. Son premier Directeur général, le zoologue et biologiste britannique Julian Huxley (DG de 1946 à 1948), était très préoccupé par ce qu'on appelait à l'époque « la conservation de la nature ». Très tôt, l'Unesco a lancé des programmes de recherche scientifique sur les zones arides et les zones humides, des zones fragiles à protéger. Elle a publié également pendant de nombreuses années une revue de recherche sur l'environnement, Nature et ressources. Puis, en 1968, de manière pionnière, l'Unesco a organisé la « conférence de la biosphère », ouvrant la voie à une action pour la protection des écosystèmes. Elle a alors créé des « réserves de biosphères », zones naturelles protégées, dans le monde entier, avec le programme MAN, « Man and Biosphere ». En 1972, l'ONU a créé le PNUE, le Programme des Nations unies pour l'environnement, basé à Nairobi (Kenya), et la même année, l'Unesco, avec la « Convention sur la protection du patrimoine naturel et culturel mondial », a créé sa célèbre « Liste du patrimoine mondial », qui compte aujourd'hui plus de 1000 sites répartis dans le monde entier, notamment des sites naturels remarquables, à préserver [1].
J.P - L'Unesco, en tant qu'institution onusienne, se base dans son action environnementale sur les objectifs de développement durable. Cependant, cette notion est de plus en plus critiquée, du fait de la confrontation entre l'utilisation des ressources naturelles et la protection de l'environnement qu'elle implique. Quelle approche du développement durable est mise en avant par l'Unesco ?
C.M - Il y a toujours eu une tension entre exploitation et préservation des ressources naturelles, surtout dans les pays du Sud qui ont besoin de se développer. L'Unesco est une institution de synthèse, de compromis, qui a toujours tenté de trouver un équilibre entre des aspirations contradictoires.
L'Unesco participe aux ODD, les « objectifs du développement durable », lancés par l'ONU en 2015. Elle se distingue des autres agences de l'ONU par une approche spécifique, liant l'environnement à la culture et au patrimoine. Ainsi, l'Unesco promeut et cherche à préserver les 257 sites naturels inscrits sur la Liste du patrimoine mondial (du parc naturel du Mont Kenya à la réserve naturelle du Surinam central), parmi lesquels 57 sites marins, et au total plus de 3,5 millions de km2 protégés. Parmi eux, 16 sites sont répertoriés comme « en péril » et donc particulièrement surveillés.
L'Unesco s'efforce d'allier mise en valeur et protection de ces sites : ainsi, sur ces sites naturels protégés, plus de 90 % créent des emplois et génèrent des revenus grâce au tourisme et aux loisirs. De plus, pour la moitié de ces sites, leur classement permet une protection qui prévient les catastrophes naturelles telles que les inondations ou les glissements de terrain.
En outre, les « réserves de biosphère », au nombre actuellement de 738 dans 134 pays, ne sont pas des zones où l'être humain est exclu, mais où l'activité humaine se conjugue avec la protection de la nature. Elles allient trois fonctions interconnectées : conservation, développement et soutien logistique.
Enfin, les « géoparcs mondiaux UNESCO » créés depuis novembre 2015, visent à associer les besoins des sociétés humaines, de la diversité culturelle, de la biodiversité, des services écosystémiques et du patrimoine naturel et culturel mondial.
L'Unesco lance également des projets spécifiques sur des zones particulièrement vulnérables, comme le projet BIOPALT (« Biosphere and Heritage of Lake Chad Project »), qui vise à protéger la région du lac Tchad et à favoriser la résilience des populations qui vivent autour du bassin du lac Tchad, ou encore le projet MangRes (« Mangrove restoration as a nature-based solution in biosphere reserves in Latin America and the Caribbean ») qui s'attache à protéger les mangroves d'Amérique latine et des Caraïbes, en utilisant les savoirs locaux.
J.P - Les dernières années ont mis en avant la nécessité d'élaborer un dialogue entre les scientifiques, les décideurs publics et le grand public pour permettre l'adaptation et la transformation de la société rendues nécessaires par le changement climatique. Quelles actions ont été et sont entreprises par l'Unesco pour favoriser ce dialogue tripartite ?
CM - L'Unesco organise fréquemment des conférences et des séminaires à son siège à Paris pour permettre un dialogue entre les scientifiques, les décideurs publics et le grand public, comme le symposium sur « les femmes et la jeunesse à l'avant-garde de la réponse au changement climatique », tenu en mars 2022, ou la prochaine « Conférence internationale sur le risque climatique, la vulnérabilité et le développement de la résilience », qui aura lieu en avril 2023, et qui vise à combler le fossé entre la science, les politiques et la prise de décision afin de soutenir un développement efficace de la résilience.
J.P - Concernant le domaine de la culture, la conférence mondiale de l'Unesco sur les politiques culturelles et le développement durable (MONDIACULT 2022) s'est déroulée à Mexico fin septembre 2022. En 2019, le Forum des ministres de la culture avait à ce sujet mis en avant : « la volonté des États membres d'utiliser les politiques culturelles pour relever les défis complexes et variés du développement - du changement climatique à la perte de biodiversité, en passant par l'accroissement des inégalités et les conflits - lesquels apportent un nouvel éclairage sur l'effet transformateur de la culture sur les sociétés et les économies. » Quelles avancées sur l'utilisation des politiques culturelles pour un développement durable ont été entérinées lors de MONDIACULT 2022 ?
C.M - Lors de la conférence MONDIACULT 2022 à Mexico en septembre 2022, qui fait suite à la première conférence MONDIACULT tenue quarante ans plus tôt, à l'été 1982, dans la même ville, les représentants des 150 États réunis ont adopté, à l'unanimité, une « Déclaration historique pour la Culture ». Cette déclaration est importante car elle affirme que la culture est un « bien public mondial ». MONDIACULT 2022 est la plus grande conférence mondiale consacrée à la culture de ces 40 dernières années, elle a réuni pendant trois jours à Mexico près de 2600 participants, dont 135 ministres de la Culture.
Dans la Déclaration, adoptée à l'issue de près d'un an de négociations multilatérales tenues sous l'égide de l'Unesco, les États réunis appellent à intégrer la culture « en tant qu'objectif spécifique à part entière » parmi les prochains objectifs de développement durable des Nations unies. Elle définit un ensemble de « droits culturels » que les politiques publiques devront respecter, « allant des droits sociaux et économiques des artistes, à la liberté artistique, jusqu'au droit des communautés autochtones à sauvegarder et à transmettre leurs connaissances ancestrales, et à la protection et promotion du patrimoine culturel et naturel ».
Il appelle également à une « régulation substantielle du secteur numérique, en particulier des grandes plateformes, au bénéfice de la diversité culturelle en ligne, de la propriété intellectuelle des artistes et d'un accès équitable pour tous aux contenus » [2]. Il s'agit aussi de lutter plus intensément contre le trafic illicite de biens culturels, et de créer en 2025 un « Forum mondial sur les politiques culturelles », quadriennal.
J.P - L'Unesco a mis en place une stratégie pour faire face au changement climatique, dont la dernière évaluation date d'août 2021. Dans cette évaluation, une des barrières au succès mise en avant était le manque de moyens. Quelles sont les voies mises en place pour pallier ce manque ?
C.M - Le budget de l'Unesco est d'un peu plus de 500 millions de dollars pour 2022-2023, donc pour deux ans. C'est un budget très faible comparé au PIB de certains États et au chiffre d'affaires de grandes multinationales. L'Unesco manque de moyens, c'est un fait structurel. Auparavant, c'était les États-Unis qui étaient le principal contributeur financier, aujourd'hui c'est la Chine, qui finance, outre sa contribution normale, beaucoup de programmes et projets de l'Unesco par des financements extra-budgétaires (supplémentaires). Mais cela donne à la Chine beaucoup de pouvoir pour influencer ces programmes.
Plus précisément, concernant le patrimoine mondial, le « Fonds du patrimoine mondial » a un budget propre qui est de près de 6 millions de dollars pour l'exercice biennal 2022-2023. Concernant la culture, l'Unesco dispose, depuis l'entrée en vigueur en 2007 de la « convention sur la diversité culturelle », du FIDC, le « Fonds international pour le développement culturel », qui a pu disposer depuis sa création de près de 10 millions de dollars, ce qui a permis de financer 129 projets dans 65 États membres depuis 2010.
Par ailleurs, pour pallier le manque de moyens financiers, l'Unesco s'associe à des entreprises du secteur privé, pour des projets en partenariat, comme par exemple avec L'Oréal ou avec BASF, Panasonic ou encore Nokia. Cela n'est pas sans risques, car les objectifs de ces entreprises (faire du profit) ne convergent pas toujours avec ceux de l'Unesco, et en particulier avec ceux du développement durable et de la protection de l'environnement...
[1] Sur ce sujet, cf. Chloé Maurel, Histoire des idées des Nations unies. L'ONU en 20 notions, Paris, L'Harmattan, 2015.
[2] Source : https://www.unesco.org/fr/articles/mondiacult-2022-les-etats-adoptent-une-declaration-historique-pour-la-culture