L'Afrique, le prochain califat ?

Luis Martinez est politiste et spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient, directeur de recherche à Sciences-Po-CERI depuis 2005. Professeur invité à l'université Columbia à New York (2000-2001) puis à Montréal (2007-2008), il a été observateur pour l'Union européenne en Afrique subsaharienne.

Luis Martinez analyse, fort de nombreuses recherches et d'un certain nombre de voyages, l'ascension fulgurante des groupes djihadistes en Afrique. Paru aux éditions Tallandier, maison reconnue pour ses livres faisant autorité dans les relations internationales, l'ouvrage est publié à une période charnière de l'histoire africaine et se lit à l'aune d'un contexte géopolitique en mutation. Le continent africain est confronté à une multitude de coups d'État, dont certains se traduisent par un rejet de la présence française et, plus généralement, par un contexte sécuritaire de plus en plus dégradé laissant place à l'émergence et au développement de groupes terroristes. L'ouvrage met en exergue les facteurs explicatifs liés à cette expansion djihadiste ainsi que ses conséquences puis la façon dont les gouvernements et puissances étrangères tentent d'endiguer cette menace.

Le constat est factuel, en ce que les groupes djihadistes sont parvenus à s'implanter localement à travers différentes stratégies aussi bien sociales, économiques que religieuses. Leur implantation peut se lire à travers différents prismes. Luis Martinez démontre que ces groupes se sont saisis du sentiment de marginalisation et de rejet de certaines communautés à l'instar des Touaregs et des Peuls. Ils ont ensuite capitalisé sur ce sentiment d'abandon et de rejet en offrant un nouvel ordre politique et religieux. Ces mêmes groupes djihadistes profitent de la faiblesse sociale et économique de la jeunesse afin de la fédérer autour d'eux en lui offrant notamment des ressources tout en lui faisant miroiter un avenir économique plus prospère. Ils ont dès lors développé un discours anti-occidental critiquant les interventions militaires des dernières années afin de rallier à leur cause les populations locales. Plus globalement, ces groupes djihadistes exploitent les failles des États afin de favoriser leur expansion et capitalisent sur des variables structurelles et conjoncturelles.

Les bouleversements géopolitiques ont également eu pour corollaire la création d'un terreau fertile à l'implantation de ces groupes. La déliquescence de l'État libyen, les coups d'État et l'implosion du Mali en sont des illustrations. L'ouvrage apporte une réflexion utile permettant de ne pas occulter la dimension idéologique, prépondérante dans la réislamisation de ces espaces politiques. Depuis des années, des prédicateurs wahhabites et salafistes ont en effet très largement répandu leur idéologie. Cette composante religieuse est dès lors fondamentale.

En vingt ans, les groupes djihadistes n'ont cessé d'étendre leur influence notamment dans différentes régions comme le nord du Mali, la région des trois frontières ou encore le Burkina Faso et le Sahel. En quelques années, des groupes tels qu'Al-Qaida et l'État islamique sont parvenus à s'implanter dans toute la région.

Aujourd'hui, la violence djihadiste, les massacres de civils et les attaques sont quasi quotidiennes sur le continent africain. L'objectif final étant de parvenir à l'instauration d'émirats islamiques avec l'instauration de la charia tout en éradiquant les traces du passé colonial. Les groupes djihadistes vont alors faire preuve de résilience et œuvrer à l'éradication totale des forces étrangères sur le continent.

Cet ouvrage analyse comment des acteurs comme la Chine, la Russie et la milice Wagner exploitent les faiblesses de certains États africains dans une logique de lutte d'influence dommageable aux occidentaux. La lecture de cet ouvrage est largement recommandée dans la mesure où elle donne une grille de lecture complète du sujet, grâce à une analyse aboutie et sourcée. Cette lecture est d'autant plus importante pour comprendre comment la France peut sortir du piège africain et redéfinir les modalités de sa coopération avec les États du continent. Outre la menace djihadiste, les autorités françaises doivent composer avec la guerre informationnelle. En définitive, pour la France comme pour l'Union européenne, l'expansion de ces groupes djihadistes demeure un véritable défi stratégique.