Le Niger : un nouvel échec politico-militaire collectif au Sahel ?
Par Alexandre Negrus, président de l'Institut d'études de géopolitique appliquée et Yohan Briant, directeur général de l'institut.
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Yohan Briant, Alexandre Negrus, Le Niger : un nouvel échec politico-militaire collectif au Sahel ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 8 août 2023
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L'ancien pré carré européen que représentait l'Afrique de l'ouest francophone a longtemps existé à la périphérie des affaires internationales. L'extraordinaire richesse de la région en matières premières et la faible diversification de son économie ont contribué à maintenir l'Afrique de l'ouest dans une forme de liminarité : le statut des États et de leurs élites constituent un réel enjeu géopolitique tandis que les populations demeurent une problématique interne. Cette dissociation a pavé la voie à une évolution stratégique vers le tout sécuritaire ou presque, où le volet social, les missions d'accompagnement, de développement économique et la prise en compte du facteur culturel ont été largement délégués à des organisations internationales.
Tout l'inverse de l'approche privilégiée par la Chine et la Russie, alors considérés comme secondaires sur le continent. Pékin s'appuie sur son économie afin de développer les échanges universitaires et les infrastructures essentielles, tout en fournissant aux élites dirigeantes des pays les plus autoritaires son expertise en matière de contrôle social, tandis que Moscou mise sur les partenariats axés sur la sécurité. L'un et l'autre s'adressent également aux populations grâce à un discours fondé sur la critique de l'occident moralisateur, auquel s'ajoute propagande et désinformation. Comment s'étonner de la présence de drapeaux russes lors des manifestations de soutien aux régimes issus de coups d'État, au Mali, au Burkina Faso et maintenant au Niger ? La France, n'est plus, aux yeux de ces populations, que l'ancienne puissance coloniale, présente exclusivement à travers ses troupes et ses bases militaires, en vertu d'une promesse sécuritaire dont les effets tardent à se faire ressentir. Après ses échecs au Mali, en Centrafrique et au Burkina Faso, la France avait réarticulé sa présence au Niger et s'était notamment investie au service des armées locales. Outre son soutien en matière d'armement, la France a contribué à travers du renseignement mais également sur le plan opérationnel avec un appui aérien ainsi qu'une aide aux troupes au sol. Force est de constater que cette influence militaire, certes plus discrète, n'aura pas suffi à enrayer la dynamique des coups d'État dans la région et des rebellions contre les autorités occidentales en Afrique francophone.
La France n'est évidemment pas la seule responsable de l'effondrement des démocraties d'Afrique de l'ouest : corruption, insécurité, tribalisme, manque de perspectives économiques, les causes sont nombreuses pour des États si vastes et si fragiles. Il est important de souligner que ce nouvel échec est collectif, en ce que la présence occidentale au Niger ne se limite pas qu'à l'implication de la France. L'Italie y est engagé avec une mission de formation militaire. L'Allemagne s'est manifestée sur le plan de l'assistance militaire. Si l'Union européenne y conduit des missions, les États-Unis disposent quant à eux d'une importante base militaire. Il n'en demeure pas moins que la France restait la principale puissance d'influence sur le continent africain et que les autorités politiques françaises ont négligé les alertes relatives au sentiment anti-français. Au Sahel, il y a donc un échec politico-militaire, résultat de défaillances du renseignement politique. Comment ne pas anticiper les situations au Mali, au Burkina Faso et désormais au Niger malgré de nombreuses données remontées du terrain ? La Russie mène des opérations de déstabilisation et de lutte informationnelle contre la France. Dans les manifestations en soutien aux putschistes, on aperçoit des drapeaux russes et des slogans anti-français. Les drapeaux français, quant à eux, sont brûlés et piétinés. Ce nouveau coup de force de putschistes est un signal très alarmant d'un point de vue sécuritaire. Le Niger était devenu pour la France son principal partenaire dans la région pour lutter contre la menace terroriste au Sahel et contre les migrations clandestines vers l'Europe.
On peut également y voir une conséquence de la recomposition de l'ordre international consécutive à la pandémie de Covid-19 et à l'éclatement de la guerre d'Ukraine. L'Afrique représente un terrain d'affrontement privilégié, non plus seulement comme un dépôt de ressources à sécuriser, mais comme un marché potentiel, une zone d'influence, une tête de pont en direction de l'Indopacifique et du Moyen-Orient, un soutien à l'échelle des négociations internationales. La mobilisation rapide de la CEDEAO en faveur du retour à l'ordre constitutionnel traduit la volonté de trouver une solution de crise via les acteurs et institutions régionaux, en limitant au maximum les interventions extérieures. À l'inverse, les prises de position maliennes et burkinabés témoignent de la fragilité de ces régimes dont la légitimité repose largement sur un discours anti-occidental véhiculé en partie par des puissances étrangères. Cette tension est emblématique de la multiplication des lignes de fractures, conséquence logique du nouveau statut que l'Afrique acquiert progressivement sur la scène internationale.
Le Niger est l'un des pays les plus pauvres au monde, où trafics d'êtres humains, d'armes, de cigarettes, de carburants et de drogue sur fond de conflits ethnique et de terrorisme djihadiste sont légion. 17% de la population dépend de l'aide humanitaire et des dispositifs occidentaux d'aide au développement et de soutien économique sont en vigueur (actuellement suspendus depuis le coup d'État). Si Moscou cherche à imposer sa présence via la milice Wagner, son action économique est quasi nulle hormis le commerce des armes. Inversement, la Chine est très présente et s'est installée au Sahel une véritable rivalité économique franco-chinoise. Si la Russie ne commerce pas au Niger, la Chine assume une diplomatie du carnet de chèques. Elle exporte des produits industriels et s'implique dans des chantiers d'infrastructures.
C'est dans les services à la population que la France doit être présente, en contribuant à la stabilité politique et au lien entre les différentes ethnies. Les groupes djihadistes prospèrent sur les divisions de la population. Deux groupes principaux sont présents dans la région : le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (branche d'al-Qaïda au Mali) et l'État islamique au grand Sahara. Face à ces groupes, le Niger apparaissait comme le seul pays pouvant jouer le rôle de rempart du fait de la structuration d'une politique axée autour de cette menace. Géographiquement, le Niger relie le Sahel au lac Tchad. Le coup d'État risque fortement de profiter aux groupes terroristes. L'État islamique va notamment pouvoir faire transiter des hommes et du matériel depuis le Nigéria.
Pour toutes ces considérations humanitaires, économiques et sécuritaires, l'aide occidentale – au sens large - doit continuer. Pour l'heure, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) a dénoncé plusieurs accords militaires avec la France, dans un contexte très tendu avec des manifestations devant l'ambassade de France et de la suspension de la diffusion de RFI et France 24 dans le pays. En tout état de cause, la France doit définir de nouvelles modalités de coopération sur le continent africain. La stratégie de la France dans la bande sahélo saharienne reposait sur trois piliers : défense, développement et diplomatie. Il est dès lors important de souligner que cette situation est bien plus qu'un échec militaire. Il est urgent de comprendre que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Les aspirations des peuples africains évoluent et des changements profonds sont à prévoir. Cela passe par une meilleure compréhension mutuelle.