Midterms 2022 : quels enseignements tirer des résultats ?
Par Nicolas Driouech, responsable du département Amérique du Nord de l'Institut d'études de géopolitique appliquée
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Nicolas Driouech, Midterms 2022 : quels enseignements tirer des résultats ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 22 novembre 2022.
Très attendues cette année après une élection présidentielle qui a laissé une trace durable dans la société états-unienne, les élections de mi-mandat (midterms) étaient le théâtre d'un affrontement à distance entre Joe Biden, actuel locataire de la Maison-Blanche et Donald Trump, son prédécesseur. Placées au milieu d'un mandat présidentiel quadriennal, les élections de mi-mandat viennent souvent sanctionner la première partie de la présidence en cours. Autrement dit, il s'agit d'une sorte de référendum qui s'avère être souvent défavorable au président en exercice. Au vu de la conjoncture actuelle, le Parti républicain était annoncé comme le potentiel grand gagnant de ce scrutin. Outre les difficultés politiques affichées par l'administration Biden, notamment sur le plan économique, les maladresses du président des États-Unis d'Aémrique offraient une voie royale au camp adverse selon les analystes politiques. Pourtant, les résultats définitifs de ces élections contredisent une fois encore les sondages. Si la défaite des Démocrates était inévitable à la Chambre des représentants, le maintien d'une majorité - très - relative au Sénat grâce à la voix de la vice-présidente Kamala Harris permet à l'administration Biden de garder une petite marge de manœuvre.
En outre, l'un des enjeux majeurs de ces élections était le retour au premier plan de Donald Trump. Toujours présent politiquement, le quarante-cinquième président des États-Unis comptait utiliser ce rendez-vous démocratique comme un tremplin vers l'élection présidentielle de 2024, comme l'atteste l'officialisation de sa candidature le 15 novembre 2022. Omniprésent dans les médias et ayant choisi lui-même un grand nombre de candidats républicains, Donald Trump a semble-t-il été désavoué par l'électorat. Il apparaît même comme le principal responsable des résultats en demi-teinte des Républicains selon certains poids-lourds du parti. Face à ce revers, les Républicains peuvent se satisfaire d'avoir obtenu la majorité à la Chambre des représentants. Mais l'avance ténue qui est la leur à la Chambre et l'échec au Sénat poussent à réfléchir à l'actuelle prépondérance de Donald Trump au sein de son parti et plus encore, à son avenir politique. Enfin, il va sans dire que les deux partis ont une conception diamétralement opposée du rôle des États-Unis sur la scène internationale, même si plusieurs consensus sont à souligner ces dernières années (fin de l'interventionnisme, Pékin désigné comme ennemi numéro un, soutien à l'Ukraine). Ceci posé, il conviendrait de définir la portée des résultats de ces élections et de quelle manière ceux-ci pourraient avoir un impact sur la politique étrangère de l'administration Biden.
Le maintien d'une majorité au Sénat : quelles perspectives pour Joe Biden ?
La grande surprise de ces élections est le maintien d'une majorité démocrate au Sénat. Attendu au tournant, le Parti démocrate a su y maintenir une majorité, certes ténue, qui lui permet de conserver la chambre haute grâce à la voix de la vice-présidente Kamala Harris. Pourtant, les Républicains caracolaient en tête dans les sondages depuis plusieurs semaines. Face à cet échec, il convient d'effectuer un inventaire au sein de la formation conservatrice et tous les regards convergent vers un responsable. La personne de Donald Trump est ostensiblement pointée du doigt au sein de son camp. Dans une chronique du Washington Post, Marc Thiessen, chercheur associé au think tank conservateur American Enterprise Institute, demande à Donald Trump de ne pas se présenter en 2024 [1]. Ces élections devaient servir de tremplin à l'une des grandes figures conservatrices outre-atlantique, d'autant plus que le plébiscite annoncé pour les candidats républicains offrait toutes les conditions pour effectuer une annonce d'une telle envergure. À l'issue du scrutin, force est de constater que la position de l'ancien président des États-Unis au sein du Parti républicain est plus que jamais remise en question. De fait, les médias conservateurs invoquent sa responsabilité dans l'échec relatif de ces élections de mi-mandat et le désaveu semble désormais flagrant. Les cadres du parti soulignent également l'impact négatif qu'a eu l'ancien président sur la campagne des candidats républicains.
Parmi les alternatives crédibles à Donald Trump, le gouverneur de Floride Ron DeSantis sort du lot. Des enquêtes menées auprès de sympathisants républicains donnent DeSantis (42%) en tête devant Trump (35%) lorsqu'il est demandé aux sondés quel candidat ces derniers souhaiteraient voir représenter le Parti républicain en 2024. Ces chiffres inédits offrent au gouverneur DeSantis (aisément réélu avec 20 points d'avance) un nouveau statut. De surcroît, le Los Angeles Times estime qu'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche « est devenu beaucoup plus compliqué [2]. »
La vague républicaine n'ayant pas vu le jour, le Parti démocrate limite les dégâts de manière inattendue. Mal-en-point dans les sondages et les enquêtes d'opinion, le parti au pouvoir est parvenu à retourner une situation jusque-là compromise. Ce regain auprès des électeurs est dû à plusieurs facteurs. Outre le côté clivant de Donald Trump, le camp démocrate a bénéficié des politiques anti-avortement des États gouvernés par les Républicains. Face à la menace d'une expansion de ces politiques jugées coercitives par une partie de l'électorat progressiste, les jeunes électeurs se sont mobilisés en masse pour endiguer la progression des Conservateurs. Ce sursaut permet aux Démocrates de conserver in extremis la majorité au Sénat (50-49 en attendant le dernier scrutin en Géorgie le 6 décembre 2022, auxquels s'ajoute la voix de la vice-présidente Kamala Harris faisant pencher la balance de leur côté) et donne conséquemment de l'air au président Biden. Ce succès n'est pas sans conséquence. La chambre haute du Congrès est un passage incontournable pour l'exécutif dans l'optique de mener à bien sa politique. Le président a par exemple besoin du soutien de deux tiers des sénateurs afin de pouvoir lancer une opération extérieure impliquant les troupes de l'US Army.
Le gain de la Chambre des représentants par le Parti républicain : un caillou dans la chaussure de Joe Biden ?
Si le raz-de-marée annoncé n'a pas eu lieu, le Parti républicain va tout de même reprendre le contrôle de la Chambre des représentants, chambre basse du Congrès, à l'issue de ces élections. Une nouvelle fois, l'avantage sur le Parti démocrate est étriqué, loin des projections et a fortiori des espoirs affichés par les Républicains. Cela étant, le parti de l'éléphant [3] se retrouve majoritaire à la Chambre des représentants et ses membres élus pourront faire valoir les prérogatives qui sont dévolues au pouvoir législatif. Les conséquences ne sont pas nulles pour le président des États-Unis. À titre d'exemple, les Républicains pourraient lancer une série d'enquêtes sur les différentes décisions prises par Joe Biden ces deux dernières années, de la gestion de la pandémie au retrait des troupes d'Afghanistan, comme le rapporte Sonia Dridi [4].
Le retrait des troupes états-uniennes d'Afghanistan, qui avait mis fin à vingt ans de conflit, avait été perçu par la communauté internationale comme une débâcle pour Washington et les Républicains n'étaient pas restés de marbre. Le 31 août 2021, au soir du départ définitif des derniers contingents états-uniens, la présidente du Comité national républicain Ronna R. McDaniel fustigeait le choix de Joe Biden, et plus encore la manière dont les États-Unis ont dû quitter l'Afghanistan en déclarant que le président démocrate avait « créé un désastre, laissé tomber des Américains et nos intérêts. [5] »
De manière plus générale, les parlementaires jouent un rôle prépondérant dans la conduite de la politique étrangère des États-Unis, quel que soit leur parti d'appartenance. Un des faits qui illustre ce propos est l'engagement des États-Unis dans le conflit russo-ukrainien. Initialement hésitant, Joe Biden avait vu des membres du Congrèsvenant des deux bords insister avec véhémence sur la nécessité d'un appui logistique plus important à l'armée ukrainienne, après s'être rendus eux-mêmes sur le terrain [6]. Néanmoins, s'il existe un consensus général sur la question ukrainienne, les Républicains affiliés à Donald Trump n'ont cessé d'afficher leur mécontentement face à l'aide apportée à Kiev depuis le début du conflit. Dans le cadre d'une rivalité exacerbée avec la République populaire de Chine, ces membres du Parti républicain soutenaient que les fonds alloués à l'Ukraine auraient pu être utilisés pour faire davantage face à Pékin. Le gain de la chambre basse du Congrès pourrait éventuellement rebattre les cartes et précipiter un recentrage sur le principal adversaire de Washington. Toujours est-il que Joe Biden devra composer avec une majorité républicaine, ce qui pourrait l'inciter à être plus « défensif » face à la volonté des Républicains de s'attaquer à son administration.
À l'évidence, ces élections de mi-mandat marquent un tournant. Loin des prédictions d'une vague rouge, le Parti républicain retrouve une certaine influence à la Chambre des représentants qui pourrait lui permettre de bousculer l'administration Biden sur certains sujets. Ces élections mettent en avant les fractures qui subsistent, non seulement dans la société états-unienne, mais aussi au sein de chaque parti. L'exemple du rejet de Donald Trump, pointé du doigt par les figures du Parti républicain et jugé responsable de la prise manquée du Sénat, illustre ce constat. Si ces élections fragilisent sa position au sein de sa famille politique, l'ancien président des États-Unis a tenu à officialiser sa candidature à l'élection présidentielle de 2024. Malmené à l'issue de cette séquence, Donald Trump conserve cependant une base solide. Selon Marie-Cécile Naves, « 30% des électeurs américains le soutiennent encore mordicus [7] », ce qui fait de lui, à ce jour, le favori des primaires républicaines.
[1] Marc A. Thiessen. « Dear President Trump, Please Don't Run Again », Washington Post, 14 Nov. 2022. https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/11/14/trump-2024-candidate-hurt-republicans/
[2] Courrier International. " "Midterms". Les républicains peuvent-ils tourner la page Trump ?", 15 Nov. 2022.
[3] Emblème du Parti républicain. Le Parti démocrate est quant à lui représenté par un âne.
[4] Sonia Dridi sur France 24 le 13 novembre 2022.
[5] https://www.lesoir.be/392111/article/2021-08-31/afghanistan-les-republicains-fustigent-biden-et-son-retrait-honteux
[6] Conférence, Sonia Dridi, Midterms 2022 : quel impact sur la politique étrangère des États-Unis ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 11 octobre 2022.
[7] Entretien. Marie-Cécile Naves. "Le disque est rayé, mais il ne faut pas l'enterrer trop vite » : le candidat Trump peut-il être réélu en 2024 ?", La Montagne, 16 Nov. 2022.