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OTAN : la Turquie a dit oui à la Suède, pourquoi ?

11/07/2023

Olivier Sueur, chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée, ancien sous-directeur OTAN, Union européenne et ONU au ministère des Armées.


Comment citer cet article

Olivier Sueur, OTAN : la Turquie a dit oui à la Suède, pourquoi ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 11 juillet 2023.

Avertissement

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La Turquie a bien entendu pris en compte ses seuls intérêts nationaux, sachant que son Parlement doit encore ratifier l'adhésion de la Suède et que la Hongrie doit faire de même. Le blocage est levé pour assurer le bon déroulement du sommet de Vilnius, mais pas dans l'absolu.

La Turquie a obtenu beaucoup : changement de la Constitution suédoise et de sa législation antiterroriste, coopération contre le PKK, l'YPG/PYD et FETÖ, reprise des exportations d'armement, création d'un coordinateur spécial pour le contreterrorisme à l'OTAN (sera-t-il confié à un Turc ?), coopération économique, mise en place d'une réunion annuelle de sécurité au niveau ministériel. Difficile d'obtenir plus de la Suède, pays de 10 millions d'habitants.

Par ailleurs, Ankara a besoin des États-Unis pour obtenir des F-16 (nouveaux fabriqués sur place et modernisation du parc existant, 20 Mrds$) sachant que l'accord du Congrès est requis, 29 Sénateurs mettant l'adhésion de la Suède dans la balance. Ainsi que l'a précisé publiquement l'ambassadeur américain à Ankara, Jeff Flake, les 71 autres sénateurs auraient signé s'ils avaient vu la lettre : difficile de faire plus explicite.

Les États-Unis ont également envoyé un signal fort en sanctionnant quatre entreprises turques le 12 avril 2023 pour aide à l'effort de guerre russe, des officiels américains ayant présenté sous couvert d'anonymat la démarche comme un « coup de semonce » à un mois de la présidentielle turque. Le message aurait-il été reçu ?

Enfin, depuis le 7 juillet 2023, la Turquie a éconduit à trois reprises la Russie : menace d'escorter seule les navires de céréales en mer Noire, remise au président Zelensky des cinq commandants du bataillon Azov et adhésion de la Suède à l'OTAN. Pourquoi ce coup de froid ?

Le 4 juillet 2023, la Russie a signifié par écrit de son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ne pas prolonger l'accord sur le transit des céréales en mer Noire qui prend fin le 17 juillet, or les moissons ont commencé et un blocage ferait flamber les prix. C'est un chiffon rouge pour le président Erdogan qui a besoin de stabilité intérieure.

La Turquie importe plus de 10 millions de tonnes de blé par an, principalement de Russie et d'Ukraine. L'accord constitue un enjeu domestique crucial vu la situation économique mais confère aussi au président turc une influence régionale (Golfe persique, Afrique du nord).

In fine, la Turquie donne son accord car elle a pressé le citron suédois jusqu'à la dernière goutte, elle estime que cela débloquera l'accord américain sur les F-16 qui est clé et elle envoie un message aux Russes pour prolonger l'accord sur les céréales le 17 juillet prochain.