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Pakistan : des maux et des hommes, l’histoire sans fin (heureuse)

24/07/2024

Par Olivier Guillard, directeur de l'information chez Crisis24 (Paris), chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée, docteur en droit international public, chercheur au CERIAS (UQAM ; Montréal), chargé de cours (géopolitique) à l'EDHEC (Lille). 


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Olivier Guillard, Pakistan : des maux et des hommes, l'histoire sans fin (heureuse), Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 24 juillet 2024.

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Fait somme toute inhabituel, l'auteur de cette tribune s'apprêtait à prendre la plume pour évoquer enfin, l'espace de quelques paragraphes, une « relativement » bonne nouvelle pour le Pakistan, ses 260 millions de citoyens et son économie toujours en grande souffrance : l'octroi par le FMI d'une nouvelle assistance financière (la 24e depuis 1958) de 7 milliards US$ censée « contribuer à améliorer la stabilité macroéconomique de ce pays en manque de liquidités » [1]. D'aucuns argueront probablement à bon droit qu'il eût été une bien meilleure nouvelle pour ce fragile mastodonte d'Asie du Sud si ses dirigeants étaient finalement parvenus à se passer de cet énième coup de pouce sonnant et trébuchant du FMI qui, ainsi que le ressentira la population sans doute assez vite, n'ira ni sans quelques maux de tête douloureux (pour les franges les plus exposées de la société) ni sans mots aimables de la part de l'opposition (du PTI de l'ancien Premier ministre Imran Khan notamment), quand les incontournables contreparties (cf. élargissement de l'assiette fiscale pour commencer) demandées par cette institution financière washingtonienne commenceront à se faire sentir (durement) au quotidien.

Lundi 15 juillet 2024, soit 48 heures à peine après l'annonce de la bouée de secours comptable esquissée ci-dessus, le cours tortueux des choses reprenait sa trame tragique, à la faveur d'un énième attentat terroriste (a priori le 394e du genre depuis le 1er janvier 2024 selon le décompte des experts du South Asia Terrorism Portal [2]) perpétré contre une base militaire de Bannu (près de l'agence tribale du Waziristan du Nord, non loin de la frontière afghane) qui emporta dans le trépas 8 membres du personnel de sécurité [3]. Une dizaine de jours plus tôt, dans une autre agence tribale elle aussi contigüe du territoire afghan (district de Bajaur ; province de Khyber Pakhtunkhwa), la violence terroriste aveugle autant qu'inexcusable [4] s'abattait sur cinq individus, dont un sénateur menant campagne ; comme toujours, les autorités (civiles comme militaires) promettaient de traduire en justice au plus tôt les instigateurs et auteurs de ces méfaits, sinistres et récurrents sinon permanents dans ce pays balafré du nord au sud par ce fléau depuis des décennies. Des instigateurs qui, visiblement, n'ont pas encore été dissuadés dans leur lâche entreprise par la nouvelle opération anti-terroriste d'envergure entamée il y a peu (opération Azm-e-Istehkam – « Engagement en faveur de la stabilité [5] » - débutée fin juin) par les forces de sécurité nationales, lesquelles ont payé un lourd tribut (373 morts) au premier semestre face à la gangrène terroriste polyforme ; en dépit des effets de manche répétés de chaque gouvernement civil siégeant à Islamabad ou aux postures martiales de chaque chef des armées « trônant » depuis le QG de la Pakistan army à Rawalpindi, promettant lors de beaux discours enflammés d'en finir sous peu avec le fléau terroriste, ses innombrables formes, acteurs et soutiens, à l'évidence et on ne peut plus tristement, la terreur n'est pas près de quitter le terreau fertile pakistanais.

Du reste, à la lecture de la presse sud-asiatique de mercredi 17 juillet 2024, il n'est pas compliqué de s'en convaincre (si tant est qu'on ne l'était pas alors) : au lendemain d'une attaque terroriste perpétrée dans le district de Doda (région indienne de Jammu, au Cachemire) ayant fait plusieurs victimes dans les rangs des forces de sécurité indiennes, et revendiquée par les « Kashmir Tigers [6] », une entité liée au groupe terroriste pakistanais Jaish-e-Mohammad (JeM [7] ; armée du Prophète), la thématique terroriste demeure une fois encore omniprésente dans la si volatile, erratique dynamique indo-pakistanaise. Avec une opinion publique indienne chauffée à blanc par ce tragique nouvel attentat survenant au Cachemire indien un mois après un énième drame peu ou prou similaire [8] frappant le district de Reasi [9].

Cet été, les secousses telluriques agitant sans discontinuer le deuxième pays le plus peuplé du sous-continent indien ne se limitent pas au champ sécuritaire ; le sempiternellement agité sinon incandescent théâtre politique domestique n'a aucunement baissé la garde pour se recentrer plus utilement sur la gestion des affaires nationales (aussi mal engagées panoramiquement soient-elles, pour dire le moins...), du rétablissement des comptes publics à la maîtrise de l'inflation (11,8 % en mai). Une fois de plus, le cirque politique a prévalu ces derniers jours, consternant la population, malmenant le crédit (déjà tout relatif) du gouvernement et l'image extérieure du pays, redynamisant l'opposition (PTI de l'ancien Premier ministre Imran Khan notamment), enfin, même si l'important n'est pas là, éreintant ce qui restait de patience à la communauté internationale, qui se rappellera sans doute que le dernier fait d'armes sujet à caution du gouvernement S. Sharif 2.0 est intervenu précisément le lendemain du feu vert du FMI pour l'aide financière évoquée en début de tribune ; la direction de cette institution multilatérale sise dans la capitale américaine a dû apprécier... Revenons en quelques mots sur cette ixième initiative politique douteuse (et à maints égards risquée d'un point de vue courroux populaire et stabilité intérieure) à mettre au (dis)crédit de l'administration Sharif.

Lundi 15 juillet 2024, le gouvernement annonçait la possible interdiction prochaine du parti politique d'opposition PTI (Pakistan Tehreek-e-Insaf) – déjà dans l'impossibilité de présenter des candidats sous sa bannière lors du scrutin législatif de février [10] -, un couperet administratif que « justifient » tant bien que mal les autorités par les manquements divers de l'ancien chef de gouvernement Imran Khan (2018-2022) - divulgation de documents classifiés – et de sa formation le PTI (cf. incitation à l'émeute) alors même que trois jours plus tôt à peine (vendredi 12 juillet), la Cour suprême estimait que le PTI avait droit à 23 sièges supplémentaires au Parlement (en plus des 95 glanés lors des élections de février) ; ses candidats ayant été contraints de se présenter au scrutin du 8 février en tant qu'indépendants par la Commission électorale.

Mais le comble du ridicule pour le pouvoir civilo-militaire du moment était peut-être intervenu la semaine précédente, mardi 10 juillet précisément, lorsque le gouvernement Sharif annonçait, droit dans ses bottes et comme si la chose allait naturellement de soi, désormais légalement autoriser l'Inter-Services Intelligence (ISI), le redouté service de renseignement géré par l'armée, à mettre sur écoute les appels téléphoniques et les messages, renforçant son ombre déjà considérable sur la vie politique nationale. Une annonce qui provoqua le tollé (mérité) que l'on devine dans les rangs de l'opposition, dans la rue et sur les réseaux sociaux. Pour Islamabad, sans convaincre grand monde dans le pays et au-delà, cette mesure se limite stricto sensu au suivi des activités criminelles et terroristes, le gouvernement veillant à ce qu'elle ne porte pas atteinte à la vie privée et à la confidentialité. Y aura-t-il seulement dans ce pays battu en permanence par les tempêtes politiques successives, les crises économiques, éreinté de janvier à décembre par le fléau terroriste radical, la mauvaise gouvernance des dirigeants et une corruption rédhibitoire (sans parler des incidences douloureuses pour la population du réchauffement climatique) un seul individu à prendre pour argent comptant pareille litanie affligeante ? Cela parait peu probable mais en cet été 2024 fébrile, le pouvoir pakistanais et les influents généraux s'inquiètent-ils seulement d'une telle futilité ?


[1] ''Cash-starved Pakistan acquires $7 billion IMF loan'', Voice of America, 13 juillet 2024.

[2] https://www.satp.org/datasheet-terrorist-attack/fatalities/pakistan. Pour un bilan humain de 263 civils et 307 membres des forces de l'ordre tués.

[3] Ainsi que les 10 assaillants dont l'identité et l'affiliation restent à cette heure inconnue.

[4] Détonation d'un engin explosif improvisé au passage d'un véhicule.

[5] The Diplomat, 25 juin 2024.

[6] India Today, 17 juillet.

[7] Créé au début des années 2000 au Pakistan.

[8] 9 pèlerins hindous tués lors de l'attaque d'un bus le 9 juin imputable au groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Toiba (LeT).

[9] The Hindu, 10 juin 2024.

[10] Ce qui ne l'empêcha pas malgré tout, fort d'un soutien populaire ne se démentant pas malgré les coups de boutoir du pouvoir, de remporter l'élection, ses candidats momentanément ''indépendants'' raflant collectivement la 1ère place à la PML-N de la dynastie Sharif et au PPP de la famille Bhutto-Zardari.