Perspectives contemporaines sur l’Union européenne : intégration, réalité géopolitique et architecture sécuritaire
L'Institut d'études de géopolitique appliquée a organisé le 4 avril 2023 un symposium consacré à l'analyse des perspectives contemporaines de l'Union européenne. Sous le patronage de son excellence monsieur l'ambassadeur Francois de Kerchove d'Exaerde, l'événement s'est tenu dans les murs de la résidence de Belgique, autour d'une vingtaine d'experts en relations internationales afin de contribuer à une réflexion de haut niveau sur l'avenir de l'Union européenne, dans un contexte de retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen et alors que le continent européen est confronté à une pluralité de crises dans un monde fragmenté. Les équilibres sont redéfinis, ce qui pousse l'ensemble des européens à reconsidérer de façon pragmatique la question de l'intégration européenne, tout en contextualisation l'Union européenne en tant que puissance afin d'entrevoir les nouvelles dimensions de l'architecture européenne.
Le symposium a débuté par une conférence inaugurale de l'ambassadeur du royaume de Belgique en France, suivie d'un déjeuner avant que les experts se répartissent en trois groupes afin d'élaborer des axes de réflexion.
Avertissement : le texte infra ne constitue pas la synthèse des travaux de cette journée. Un rapport à paraître prochainement y sera consacré.
Au cours de l'événement, des réflexions ont été menées dans le cadre des trois tables-rondes suivantes.
Table-ronde n°1 - L'intégration européenne en direction des Balkans
Coordinateur : Alexandre NEGRUS, président et fondateur de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.
Intervenants : Corina CALUGARU, ambassadrice de la République de Moldova en France ; Jacques RUPNIK, directeur de recherche émérite (Sciences Po), ancien conseiller à la Commission européenne ; Frédéric PETIT, député des Français établis à l'étranger (Allemagne, Europe centrale, Balkans), vice-président de la Commission des affaires européennes, membre de la Commission des affaires étrangères ; Anne MADELAIN, maître de conférence au département Europe (INALCO), chercheuse au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) ; Florent MARCIACQ, co-directeur de l'Observatoire des Balkans de la Fondation Jean-Jaurès et Loïc TREGOURES, docteur en science politique, spécialiste des Balkans, enseignant à l'Institut catholique de Paris.
Le 1er janvier 2023, la Croatie intègre l'espace Schengen, en même temps qu'elle achève son intégration à la zone euro. Cette décision, validée le 8 décembre 2022 à l'unanimité par les ministres de l'intérieur des pays membres, intervient alors que s'ouvrent les négociations en vue de l'adhésion de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, dont le statut de candidat a respectivement été validé en 2005 et en 2014. Toujours en 2022, l'Ukraine, la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine sont officiellement candidates, tandis que le Kosovo a présenté sa candidature le 15 décembre. En considérant également les cas du Monténégro et de la Serbie, en négociation depuis 2012 et 2014, c'est désormais l'intégralité de la péninsule des Balkans qui cherche à nouer des liens avec l'Union européenne. Ce constat révèle l'attractivité indéniable de l'UE, y compris au moment où la guerre conventionnelle entre États réapparaît sur le continent. Confrontée à l'agression russe de l'Ukraine, l'Union européenne, dont la lenteur, voire l'immobilisme, est régulièrement critiqué, s'est montrée volontaire dans ses principes, mais surtout efficace dans la prise de décision.
La perspective de l'élargissement de l'Union européenne vers les Balkans a incontestablement bénéficié de la dynamique insufflée par le conflit ukrainien, son application révèle cependant les contradictions inhérentes au fonctionnement de l'UE. Initialement prévue en même temps que l'adhésion croate à Schengen, l'intégration de la Roumanie et de la Bulgarie s'est heurtée au veto autrichien. Si la possibilité de dissocier les adhésions d'un groupe témoigne d'un certain pragmatisme, cela marque aussi la résurgence d'un vieux serpent de mer européen : la difficulté à trouver un équilibre entre politiques intérieures propres à chaque membre et politique européenne. L'impossibilité apparente de hiérarchiser, voire simplement de découpler, les préoccupations nationales avec les intérêts européens est-elle une décision politique, ou bien fait-elle partie des limites intrinsèques à l'architecture et au fonctionnement de l'Union ? Pourquoi certains domaines semblent-ils plus propices à la collaboration à l'échelle de l'UE ? Plus largement, le cadre institutionnel actuel de l'Union européenne est-il un frein à la volonté de puissance et de souveraineté du Vieux Continent ?
Table-ronde n°2 - De la guerre en Ukraine vers la guerre d'Ukraine : la lente prise de conscience des États européens
Coordinateur : Tsiporah FRIED, conseiller prospective et stratégie à l'état-major français des Armées, chercheur associé de l'Iega.
Intervenants : Arnaud VALLI, conseiller politique au commandement maritime de l'OTAN ; Mathilde PHILIP-GAY, professeure à l'Université Lyon III Jean-Moulin, Co-directrice du Centre de droit constitutionnel ; Marie DUMOULIN, diplomate, Directrice de programme à l'European Council on Foreign Relations (ECFR).
Excusée : Oksana MITROFANOVA, enseignante-chercheuse au département d'Europe (INALCO), chercheur au Centre de recherche Europe-Eurasie (CREE), chercheuse senior au département des recherches transatlantiques de l'Institut d'histoire mondiale d'Académie nationale des sciences d'Ukraine.
Comment le conflit armé déclenché le 24 février 2022 par Vladimir Poutine doit-il être nommé ? Bien loin de sa dimension sémantique, cette question porte tout à la fois en elle les enjeux du conflit, les défis qu'il impose au monde, les modalités d'une éventuelle sortie de crise. La guerre en Ukraine circonscrit une réalité politique, économique et sociale à un espace géographique dont la définition fait l'objet d'un consensus international. La remise en cause de ce consensus et, globalement, du système international dans son ensemble, sont d'ailleurs symptomatiques de ce conflit. Or en constatant l'exil des civils, ukrainiens comme russes, les violations du droit international, les crises énergétiques et alimentaires, mais également les évolutions stratégiques et tactiques, on ne peut que constater que l'ensemble des données de cette nouvelle guerre européenne ont une dimension transversale et mondiale. En outre, parler de guerre en Ukraine revient à créer une scission historique et intellectuelle entre le conflit actuel et la guerre du Donbass, laquelle éclata consécutivement aux soulèvements anti-Maïdan, en réaction au manifestations européistes ayant conduit au renversement de Viktor Ianoukovytch.
À l'inverse, la guerre d'Ukraine matérialise la réalité géopolitique du conflit en recentrant les enjeux, puisqu'il s'agit du devenir d'un État souverain faisant pleinement partie d'un espace largement mondialisé. Cela forme aussi le trait d'union entre le soulèvement original d'Euromaïdan et le conflit actuel, remettant ainsi les acteurs face à leurs contradictions, européens en tête. En effet, l'entêtement franco-allemand à sauver les accords de Minsk, en dépit de leur échec programmé, souligne l'impréparation de l'Europe, en tant qu'espace politique pluriel, et celle de l'Union européenne, considérée en sa qualité d'acteur économique, à se confronter à la réalité stratégique de ce début de XXIe siècle. La solidarité européenne et les décisions prises en matière de sécurité et d'économie indiquent une certaine prise de conscience, mais qu'en est-il sur le long terme ? Si la guerre a déjà profondément modifié la géopolitique européenne, il ne fait aucun doute que le retour à la table des négociations entraînera à son tour des transformations déterminantes.
Table-ronde n°3 - OTAN – U.E : vers une nouvelle architecture sécuritaire de l'Europe ?
Coordinateur : Olivier SUEUR, conseiller impact et transformations au ministère français des Armées, chercheur associé de l'Iega.
Intervenants : Mathieu DROIN, conseiller aux affaires étrangères, Visiting fellow au Centre for Strategic and International Studies ; Nicolas TENZER, centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), senior fellow, Center for European Policy Analysis (CEPA) ; Claire NESTIER, représentante militaire adjointe de la France auprès de l'OTAN ; Gésine WEBER, chercheuse au sein du bureau parisien du German Marshall Fund of the United States (GMF).
Comment assurer la défense de l'Europe ? Même sans tenir compte des intérêts politiques divergeants des États membres, la matérialité d'une guerre de haute intensité s'est manifestée avec beaucoup de brutalité, en particulier chez les nations d'Europe de l'Ouest pour qui la lutte armée consistait avant tout en des opérations clairement définies menées avec des effectifs professionnels limités. Au-delà de la stricte dimension financière se pose aussi celle de la réparation, de l'entretien d'armes très sophistiquées, celle des munitions et, plus largement, du cadre socio-économique. Paradoxalement, le récent envol des budgets militaires à travers le continent ne constitue pas une réponse en soi, car la bataille se joue également sur le plan des idées.
En effet, si l'Union européenne semble avoir acté son réarmement, ce-dernier semble s'effectuer dans le cadre otanien. L'adhésion à l'OTAN de la Finlande, dont l'armée très bien entraînée s'appuie sur l'une des plus importantes réserves opérationnelles du continent, et de la Suède, pays disposant de l'une des industries de défense les plus performantes, semble avoir scellé le sort de la défense européenne. Une évolution qui semble naturelle d'un point de vue pratique, surtout considérant l'intégration étroite entre les armées nationales et l'OTAN chez certains États européens (notamment les pays Baltes), mais également le retard considérable accumulé par les projets tels que le SCAF ou le drone européen MALE. Même la France, en dépit de ses positions souverainistes, a renouvelé son intention d'être une « nation cadre » de l'alliance, comme en témoigne le récent déploiement de forces en Roumanie.
La problématique de la défense de l'Europe doit-elle seulement être réduite à un choix entre une défense strictement indigène et le concours de l'OTAN ? La résolution de toute question politique nécessite un compromis et la reconfiguration de l'environnement stratégique européen impliquera très probablement le renouvellement des schémas sécuritaires actuellement en vigueur.