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Que retenir du 75e sommet de l'Otan ?

23/07/2024

Le forum public de l'Otan, organisé parallèlement au 75e sommet de l'Otan qui s'est tenu du 9 au 11 juillet 2024 à Washington, propose un espace de dialogue et de délibération sur des enjeux cruciaux relatifs à la défense et la sécurité de l'Otan, aux enjeux environnementaux mais également au soutien continu à l'Ukraine. De nombreux acteurs se sont réunis les 10 et 11 juillet 2024 pour discuter et débattre en marge du sommet des chefs d'État et de gouvernement, à l'instar d'acteurs de la société civile tels que des think tanks.

L'Institut d'études de géopolitique appliquée a pris part à ce forum public dans le cadre de son observatoire des Alliés de la France de l'Otan, en assistant à de nombreuses conférences [1]. Ce compte rendu a été rédigé par Lyse Da Costa Montfort, chargée de mission à la direction générale de l'Iega. Les propos exprimés n'engagent aucune personnalité étant intervenue au cours du forum public ou du sommet de l'Otan.

Au cours des deux dernières années, l'Otan a entrepris une transformation significative de ses stratégies en intégrant pleinement les enjeux environnementaux, conformément à son concept stratégique de 2022. Cette réorientation a conduit à la création du Centre d'excellence sur l'environnement, soulignant la reconnaissance de l'Otan des crises climatiques et de la biodiversité comme des facteurs déterminants pour la sécurité mondiale. Ces crises environnementales, exacerbant les conditions de vie dans plusieurs régions du monde, influencent directement les périodes de paix et compliquent les scénarios post-conflit. La modification du paysage de la sécurité, traditionnellement circonscrit aux sphères policière et militaire, ainsi que l'impact sur la capacité de mener des opérations militaires, sont désormais des considérations centrales dans les analyses et les planifications de l'Otan. Récemment, l'inauguration du Centre du Canada à Montréal, qui sert de centre de référence sur les interactions entre le climat et la sécurité, marque une étape cruciale dans l'engagement de l'Otan. Cette initiative, qui coïncide avec l'établissement de la CUNNING Montréal Global Diversité Trend, reflète une approche stratégique où la sécurité est envisagée à travers le prisme des changements environnementaux. Les investissements et les infrastructures militaires de l'Otan, conçus pour perdurer au moins trente ans, sont adaptés pour relever ces défis environnementaux interconnectés. Alors que l'Otan accorde une attention particulière à l'intégration des enjeux environnementaux dans ses stratégies de défense, elle doit également faire face à des défis urgents et cruciaux, comme en témoigne son implication active dans le conflit en Ukraine.

Dans un contexte historique singulièrement influencé par la pérennité de l'Otan, Jens Stoltenberg, Secrétaire général entre octobre 2014 et octobre 2024, a qualifié cette entité de « plus vieille alliance militaire de l'histoire ». Les récentes discussions au sein de l'organisation ont réitéré son principe fondateur selon lequel « une attaque contre un membre est considérée comme une attaque contre tous ». Un accent particulier a été mis sur l'engagement renforcé envers l'Ukraine, ce qui s'est manifesté par des annonces importantes, incluant un nouveau paquet d'armements et la livraison de F-16 destinés à renforcer la défense aérienne ukrainienne. La situation en Ukraine nécessite une approche stratégique et coordonnée de la part des alliés afin d'assurer la défense et la stabilité du pays. Jens Stoltenberg a souligné cette nécessité en affirmant : « nous devons donner à l'Ukraine la prévisibilité et la responsabilité dont elle a besoin pour se défendre », mettant en avant l'importance d'un soutien militaire constant et fiable pour la résistance efficace du pays face à l'agression russe.

Une analyse détaillée révèle que près de 50 % de l'assistance militaire provient des alliés européens et du Canada, avec 99 % de cette aide émanant des alliés des membres de l'Otan, soulignant le rôle prépondérant de l'organisation dans le soutien à l'Ukraine. Plusieurs dirigeants ont exprimé leurs perspectives sur le rôle de l'Otan. Kaja Kallas, Première ministre d'Estonie entre janvier 2021 et juillet 2024, amenée à succéder à Josep Borell à la tête de la diplomatie européenne, a insisté sur l'importance de fournir à l'Ukraine des armes, des missiles de longue portée et des défenses terrestres pour protéger les infrastructures civiles face aux récentes attaques russes sur des villes telles que Kiev et Kharkiv. Des efforts diplomatiques et politiques sont parallèlement essentiels pour obtenir un soutien international et encourager la Russie et la Chine à entamer des négociations sous des conditions acceptables pour l'Ukraine et ses soutiens. L'Otan, précédemment décrite comme étant « en état de mort cérébrale » par Emmanuel Macron en novembre 2019, a été revitalisée par un « électrochoc », affirmant son importance renouvelée. Il convient de noter que l'Otan n'est pas une alliance de pays de première classe, mais un groupement de membres égaux. Certains pays, tels que le Danemark, ont pris des mesures significatives pour augmenter leurs dépenses de défense bien avant les échéances prévues. Bien que l'objectif de consacrer 2 % de son PIB à la défense était fixé pour 2030, le Danemark l'a atteint dès 2024, dépassant les prévisions de six ans. Ce pays a aussi démontré un soutien robuste à l'Ukraine, non seulement en fournissant des F-16 mais aussi en envoyant l'intégralité de son stock d'artillerie. Un récent accord représente une avancée majeure dans la coopération industrielle entre les États-Unis et l'Ukraine, marquée par l'établissement de la première co-production sur le territoire ukrainien. Il s'agit d'une première où la fabrication sera effectuée en Ukraine par des travailleurs ukrainiens, en partenariat avec une entreprise américaine. Cette approche vise à renforcer à la fois les capacités industrielles et démocratiques, tout en consolidant les liens transatlantiques dans les domaines de la défense et de la production.

L'Otan évolue dans un environnement géopolitique complexe marqué par les défis continus avec la Russie mais aussi par le soutien croissant de la Chine à l'industrie de défense russe. Ce contexte est exacerbé par la Chine qui, tout en prétendant rechercher la paix, accroît les capacités militaires russes en fournissant 70 % des outillages de machines et 90 % des microélectroniques nécessaires à la Russie. Cette dualité soulève des questions critiques sur le rôle de la Chine, accentuant les tensions internationales. Lors du dernier sommet de l'Otan, l'engagement accru des pays indopacifiques, notamment l'Australie, le Japon et la Corée, a démontré une volonté de dépasser les divisions géographiques pour renforcer les alliances. Le Secrétaire d'État américain, Anthony Blinken, a mis en relief l'importance de consolider l'alliance face à ces défis, notamment ceux posés par la Chine. Il réfute les suggestions selon lesquelles les États-Unis devraient se concentrer exclusivement sur la Chine et laisser les alliés gérer les défis secondaires, en affirmant que la force des États-Unis et de leurs alliés réside dans leur capacité à affronter les défis de manière unie et intégrée. L'implication de pays comme l'Iran et la Corée du Nord dans l'agression militaire russe accentue ces tensions. C'est néanmoins principalement la Chine qui est identifiée comme le principal facilitateur, fournissant des outils critiques et des équipements à double usage pour la fabrication de missiles, bombes, avions et autres systèmes d'armement utilisés contre l'Ukraine. Ces développements suscitent des inquiétudes mondiales, comme l'a souligné le Premier ministre japonais Kishida Fumio, qui prévient que les événements actuels en Ukraine pourraient se reproduire en Asie dans un avenir proche.

Les efforts de déstabilisation menés par la Russie, qui se manifestent à travers des attaques cybernétiques et hybrides, s'étendent au-delà de l'Ukraine pour toucher les Balkans occidentaux, l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, dans le but de semer le chaos. Face à ces menaces persistantes, le sénateur américain James Risch souligne l'importance cruciale pour les membres de l'Otan d'augmenter leurs dépenses de défense afin d'atteindre au moins 2 % de leur PIB. Actuellement, seulement 23 des 32 pays membres respectent cet objectif, une proportion qui pourrait se révéler insuffisante à long terme. Cette situation met en lumière plusieurs lignes de fracture transatlantiques notamment les niveaux de dépense de défense, leur efficacité et l'innovation technologique. Alors que l'Europe détient un potentiel pour optimiser l'efficacité de ses investissements en matière de défense, les États-Unis progressent à un rythme nettement plus rapide en termes d'innovation technologique. Ce décalage pourrait engendrer des problèmes à l'avenir si l'Europe ne parvient pas à réduire cet écart. Dans le but de relever ces défis technologiques, l'Otan a lancé des initiatives telles que le fonds d'innovation DIANA (Accélération d'innovation de défense pour l'Atlantique Nord), visant à stimuler les avancées technologiques au sein de l'alliance.

La dernière application de l'article 5 du traité de l'Otan remonte aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, un moment pivot qui a redéfini les priorités de sécurité de l'Alliance. Malgré une évolution vers des cadres de sécurité nationale centrés sur la compétition entre grandes puissances, la lutte contre le terrorisme demeure une priorité capitale pour l'Otan. On observe trois grandes tendances en matière de sécurité et de contre-terrorisme. La première concerne l'adoption plus agressive de technologies disruptives, notamment dans l'usage d'internet pour le recrutement terroriste, permettant de maintenir et d'exploiter ces technologies dans des efforts de contre-terrorisme. La deuxième tendance souligne que, bien que les attaques majeures continuent, les attaques isolées de type « loup solitaire », inspirées mais non directement dirigées par de grands réseaux, gagnent en importance. La troisième tendance met en lumière un déplacement du centre de gravité vers le sud. En 2023, 48% des décès liés au terrorisme ont eu lieu au Sahel, contre seulement 1% en 2007, illustrant une migration des activités terroristes vers des régions en proie au chaos et à la perturbation, avec un nombre record de coups d'État en Afrique depuis six décennies. Le Strategic Concept de l'Otan, révisé en 2022, marque une étape significative en nommant explicitement le terrorisme comme l'une des principales menaces, reconnaissant son impact direct et asymétrique sur l'Alliance. Des plans de défense spécifiques ont été élaborés tant pour la Russie que pour le terrorisme, afin d'apporter des solutions pour faire face à ces menaces diversifiées.

Les sujets clés discutés lors du forum

  • La proposition d'une nouvelle aide pour l'Ukraine
  • La question de la menace chinoise et des alliances potentielles dans la région indopacifique
  • L'évolution des relations transatlantiques face au conflit en Ukraine
  • L'évolution de l'industrie de défense
  • La persistance de la lutte contre le terrorisme en tant que priorité pour l'Otan

[1] "Look ahead, defending our future", "The military scene setter", "The defense scene setter", "Strengthening the atlantic bond", "NATO-Ukraine partnership", "NATO leadership on climate and energy security", "Adressing the evolving threat of terrorism", "Time to flex the muscles : building a resilient transatlantic defense industry".