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Tensions diplomatiques en Amérique latine : implications et perspectives

02/08/2024

Par Emma Giuliano, responsable du département Amérique latine de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.


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Emma Giuliano, Tensions diplomatiques en Amérique latine : implications et perspectives, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 2 août 2024.

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État des lieux des relations bilatérales et panorama des tensions

Des tensions territoriales et diplomatiques latentes embrasent l'Amérique latine de manière continue depuis fin 2023. La recrudescence de la dispute historique autour du Guyana Essequiba a longuement animé l'actualité régionale. Bien que les frontières aient été entérinées par une cour d'arbitrage en 1899, le Venezuela continue de revendiquer ce territoire et de contester les décisions et l'autorité des instances internationales. La création de nouvelles cartes, législations et référendums d'autodétermination témoigne de la tendance belliqueuse croissante du Venezuela à l'égard du Guyana.

Plus récemment, l'assaut de l'ambassade du Mexique à Quito par des policier équatoriens a été perçu par le Mexique et d'autres pays de la région, dont les États-Unis, comme une grave violation du droit international, notamment le principe de l'inviolabilité des représentations diplomatiques. Le raid de la police équatorienne avait pour objectif de déloger Jorge Glass, ancien vice-président équatorien, réfugié à l'ambassade du Mexique depuis décembre 2023 à la suite d'un mandat d'arrêt pour corruption. La protection accordée à Jorge Glass est perçue comme illégale selon Noboa, le président Equatorien, et aurait justifié l'intervention d'un raid de policiers. Cette intervention musclée a conduit à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays pour la première fois en 45 ans de relations, une mesure extrême qui va au-delà du rappel des ambassadeurs. Le Nicaragua, par solidarité, a également rompu toutes relations diplomatiques avec l'Équateur. S'en est suivi le retrait du personnel diplomatique et consulaire vénézuélien sur le territoire équatorien, sur décision de Maduro. Cette crise a mis en ébullition la diplomatie latino-américaine, impliquant des représailles sans précédent des deux côtés et suscitant des réactions de part et d'autre du continent.

La situation est également inquiétante à Haïti, en proie aux groupes armés. Véritable foyer de déstabilisation régional, Haïti s'enlise pendant que ses voisins, dont la République dominicaine, instrumentalisent leurs discours politiques, animés par la crainte d'une déstabilisation par ricochet. Haïti incarne la dualité de la violence en Amérique latine, à la fois présente et expérimentée physiquement dans la chair et les esprits des Haïtiens, mais également étendue aux discours politiques des gouvernements de la région, qui extrapolent un élément de la situation au profit de leurs intérêts électoraux. L'identification d'un ennemi interne dans le discours politique est souvent exploitée pour unir les citoyens d'un pays autour d'une problématique qui fait consensus, en plus de détourner l'attention du peuple d'autres thèmes irritants, notamment en vue d'échéances électorales.

Manifestation de la violence dans le discours

L'escalade de la violence s'exprime aussi dans le discours des figures politiques. La tendance est aux paroles désobligeantes, voire insultantes dans certains cas. Cette pratique endommage le socle de confiance mutuel et met en péril la perspective de coopération entre les États. La méfiance a détrôné le respect comme mot d'ordre qui dicte la nature des relations diplomatiques bilatérales. Depuis son élection, Milei s'est notamment fait remarquer par ses remarques dénigrantes à l'égard de ses homologues. En mars 2024, le président colombien Pétro a demandé l'expulsion des diplomates argentins sur le territoire qu'il gouverne après s'être fait insulter d'assassin et de terroriste par le président de l'Argentine. Pétro avait également rappelé son ambassadeur en Argentine pour consultation après de première insultes en janvier 2024. Les relations diplomatiques entre l'Argentine et le Mexique se sont également considérablement détériorées à la suite d'insultes réciproques des deux parties.

La région se caractérise par une augmentation des discours autoritaires et un affaiblissement du rôle des institutions. En suivant cette logique, les ministères des Affaires étrangères respectifs perdent du poids au profit des figures présidentielles qui se convertissent en « porte-parole de leurs propres politiques » au service du sentiment nationaliste (Voz de America). Le non-respect des normes établies dans les interactions avec d'autres pays découle de la prépondérance du personnalisme politique et des mouvances populistes dans la région, aussi bien au Venezuela et au Nicaragua, qu'au Mexique, au Brésil ou en Colombie.

Quel impact sur la coopération régionale ?

L'Amérique latine est historiquement encline à la régionalisation des réponses en raison de la transnationalité des problématiques auxquelles la région est confrontée ainsi que par opposition au bloc occidental et à la mainmise américaine. C'est d'ailleurs la région du monde qui compte le plus de mécanismes d'intégration régionale. La migration forcée, le changement climatique ou encore la criminalité organisée sont des problématique inter-étatiques. L'Amérique latine a tout intérêt à adresser ces problématiques de manière conjointe sous le prisme de la coopération régionale, voire hémisphérique mais en raison d'agendas nationaux et d'idéologies divergentes, il est probable que la coopération internationale soit négligée. La posture autoritaire de certains chefs d'État freine inévitablement tout processus diplomatique dans la résolution des différends. Le comportement de certaines figures politiques et les tensions dues aux récentes confrontations engendrent une rupture avec certaines pratiques diplomatiques.

Il convient enfin de mentionner que plusieurs pays d'Amérique latine ont investi dans le secteur de la défense. Le Venezuela a massivement augmenté son budget de la défense au lendemain du referendum d'annexion de l'Essequibo. Le Brésil de Lula a pour vocation d'augmenter son budget de la Défense pour le porter à hauteur de 2% de son PIB. La Colombie et l'Argentine suivent cette tendance et la conjuguent avec l'acquisition d'un nouveau matériel de guerre. Cette dynamique s'inscrit dans le prolongement de la tendance internationale caractérisée par un réarmement massif des États. L'investissement dans les armées a une fonction dissuasive non négligeable, étant précisé que Maduro a d'ores et déjà annoncé qu'il était prêt à recourir à des actions défensives si cela s'avérait nécessaire.