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Terroristes d’ultradroite : existe-t-il un profil ?

01/08/2023

Patricia Cotti, maître de conférences, directrice de recherche, Université de Strasbourg. 


Comment citer cette publication

Patricia Cotti, Terroristes d'ultradroite : existe-t-il un profil ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 1er août 2023.

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Image par Gerd Altmann de Pixabay.
Image par Gerd Altmann de Pixabay.

Profils et profilage : de quoi parle-t-on ?

Parler de la menace terroriste d'ultradroite en Europe et aux États-Unis convoque rapidement la question du « profil » éventuel de ses acteurs.

Dans le numéro de la Revue diplomatique de l'Institut d'études de géopolitique appliquée consacré à l'ultradroite[1] nous pouvons ainsi relever dix-huit mentions du terme « profil », sans qu'à aucun moment ce terme ni la manière dont serait établi un profil ne soient définis. En avant-propos, Jean-Yves Camus affirme : « Ces individus d'ultradroite ont des profils très épars. Ils sont informaticiens, anciens gendarmes, militaires ou encore enseignants. Il n'y a aucun profil type puisqu'ils sont très divers et hétéroclites ».

Ainsi la notion de profil viendrait désigner une suite de données d'identification (âge, sexe, origine) et de données sociales (profession) qui permettrait d'établir un portrait-robot d'un type d'acteur social.

Rappelons qu'en criminologie, le « profil » a d'abord été une notion qui relève de la psychologie et non des sciences sociales dans leur ensemble. C'est en 1956 que le psychiatre américain James Arnold Brussel a tenté, à la demande de la police new-yorkaise, de comprendre la logique des attentats perpétrés par celui qu'on appelait Mad Bomber. L'idée qui vient alors aux policiers et à James A. Brussel est inouïe : il s'agit, à partir des indices laissés par le terroriste de décrypter son fonctionnement psychique. Lorsque George Metesky, alias Mad Bomber fut arrêté, les hypothèses diagnostiques de Brussel s'avèreront justes : le profilage, comme méthode de psychologie du crime, est né.

Le profilage n'est donc pas une analyse tous azimuts sur des données sociales « éparses ». Une telle entreprise, du temps où la police new-yorkaise cherchait à identifier Mad Bomber comme de nos jours, conduit, le plus souvent, à la conclusion d'une absence de profil.

En s'en tenant à la perspective d'analyse psychodynamique (psychiatrique et psychanalytique) qui fut celle de James A. Brussel, peut-on prétendre aujourd'hui établir un ou des profils terroristes d'ultradroite ? La démarche reste pertinente et met en évidence des éléments de la dynamique psychique du terroriste d'ultradroite.

Manifeste terroriste, fenêtre sur l'âme

Les terroristes d'ultradroite écrivent beaucoup (bien plus que les terroristes islamistes), ils copient des prédécesseurs qu'ils admirent et se réclament d'une généalogie de combattants et de héros occidentaux.

Ces écrits - publiés sur les réseaux sociaux et envoyés par courriel avant le passage à l'acte ou rédigés en incarcération -, offrent une rhétorique assez huilée qui puise aux thèses classiques de la pensée d'ultradroite (néo-nazi, suprématiste et identitaire ou ségrégationniste) et à son iconographie : grand remplacement par les ethnies non européennes, musulmanes ; trahison des juifs et antisémitisme ; affaiblissement de l'homme blanc victime de la pensée marxiste, féministe et LGTB ; déconstruction des valeurs traditionnelles.

Cependant sous cette rhétorique, le criminologue formé à la psychodynamique peut repérer des traits psychiques particuliers.

Le nouage entre idéologie et psychopathologie

Souvent, le manifeste du terroriste et l'enquête font apparaître des éléments autobiographiques et un ressentiment personnel qui a été recouvert par la cause politique. À l'occasion d'un entretien fictif, d'un paragraphe sur sa vie de famille, le terroriste livre ses obsessions et ses craintes. Quelques fois même, un délire s'entremêle au discours idéologique.

Le manifeste d'Anders Behring Brevik (Oslo 2011) est aux trois quarts rempli par des considérations historiques et politiques. Breivik y décrit un viol de l'Europe par les musulmans. Mais sous cette rhétorique c'est l'histoire et le fonctionnement psychique de Breivik qui fait saillie.

La carapace identitaire : réparation et contention

Breivik avait intitulé son manifeste « 2083. A European Declaration of Independence », il appelait à une révolution conservatrice en 2083, en souvenir de la bataille de Vienne de 1683, où les Habsbourg avaient repoussé les Ottomans. Mais cette date propitiatoire devait aussi réparer l'injustice dont Breivik pensait avoir été victime en 1983 lorsque sa garde avait été confiée à sa mère. De la même façon, en signant son manifeste de l'alias « Andrew Berwick » et situe en Angleterre le moment où il fut adoubé pour propager la révolution, c'est que l'Angleterre est le paradis perdu où il a vécu la première année de sa vie avec son père. Le caractère éminemment imaginatif, voire délirant de ces éléments, n'en révèle pas moins la dynamique de réparation dévolue à l'idéologie.

De la même façon, Dylann Roof (Charleston 2015) assailli d' idées délirantes - il pensait que son front grandissait et que la testostérone s'était amassée dans la partie gauche de son corps - multiplie les pictogrammes, mélange les runes, les croix celtiques et les symboles nazis avec les initiales de son nom. Ces dessins, sorte d'autoreprésentation, lui rendaient une image de lui-même plus stable et forte et tentaient de contenir ses éprouvés de dépersonnalisation.

Le discours idéologique tient lieu de carapace du moi terroriste, il a une fonction réparatrice, il resserre autour de lui l'investissement affectif d'un individu en perdition : l'idéologie a un effet funnel.

Frustration, victimisation, idéologisation

Les manifestes mais aussi l'enquête (interrogatoires, expertises, etc.) permettent de retracer les étapes de la radicalisation des terroristes jusqu'à leur passage à l'acte. Dans le cas Breivik, comme dans nombre d'autres cas, la radicalisation procède d'une frustration (échecs d'ordre professionnel, sentimental, amical, pertes et deuils, etc.) qui vient impacter une personnalité pathologique. Ainsi s'enclenche un sentiment de profond dépit, de persécution et une envie de vengeance.

La petite enfance de Breivik est marquée par des troubles. À 16 ans, une forte amende pour des tags et un risque de charges aggravées en cas de récidive le contraignent à s'éloigner de ses fréquentations et provoque la rupture avec son père. Breivik développe alors des idées de persécution et diabolise son ancien « meilleur ami », un jeune pakistanais : les musulmans, la politique laxiste sont responsables de sa dérive. Il adhère à un parti d'extrême droite, se fait baptiser. La phase de radicalisation durera plus de dix ans, années au cours desquelles l'entrepreneur Breivik, devenu millionnaire, pense pouvoir lutter pacifiquement contre l'immigration et sauver l'homme blanc, castré par les féministes et les marxistes.

L'acte terroriste : de l'impasse à la gloire posthume

Si la radicalisation relève d'un mécanisme assez commun où une frustration conduit à un sentiment victimaire et de persécution, l'engagement vers l'acte violent s'opère, lui, à partir d'un sentiment majeur d'impasse. Apparaissent alors des motions dépressives et des idées de mort : il s'agit d'en finir avec les autres (les coupables) et soi-même.

La dépression peut céder la place à des idées mégalomaniaques et à un investissement de l'au-delà : il s'agit de laisser son nom dans l'Histoire, d'être un héros de la résistance conservatrice, etc.

Voyons ce fonctionnement psychique chez trois terroristes :

  • Breivik décide d'un acte terroriste quand, à court de projet et d'argent, il doit retourner vivre chez sa mère, cette mère qu'il accuse de l'avoir féminisé (= impasse). Par son acte, il pense devenir un héros de la chrétienté après sa mort (= mégalomanie, gloire posthume).
  • Dylann Roof (Charleston 2015) commence à envisager de faire une tuerie quand ses parents lui imposent de leur payer un loyer et de trouver un emploi malgré toutes ses phobies et ses craintes délirantes (= impasse). Il a alors visiblement hésiter entre faire une tuerie de masse dans un centre commercial ou un acte terroriste contre des noirs. Il pensait qu'il allait déclencher une guerre raciale et qu'il serait sorti de prison et promu gouverneur (= mégalomanie, gloire posthume).
  • Tobias Rathjen (Hanau 2020) a des idées racistes et extrémistes depuis vingt ans. Il bascule dans l'intention terroriste après avoir perdu son emploi, il se sent alors déclassé et ramené au rang des migrants. De plus en plus dissocié et persécuté par un syndrome de vol des idées, il l'interprète comme l'action malfaisante d'une organisation secrète qui a pris possession de son cerveau. En tuant neuf immigrés turcs puis en se suicidant, Rathjen veut faire cesser ce qu'il nomme ce « cauchemar » (= impasse) et appeler au combat contre l'organisation secrète. Il est persuadé d'être le seul à avoir compris les plans de l'organisation (= mégalomanie).

Fragilité des identifications sexuelles : la crainte du féminin

« Le sexe est probablement la motivation la plus puissante et la plus sous-estimée au monde ». Une phrase de S. Freud ? Non, d'Anders Breivik. Toute l'argumentation de Breivik s'origine dans sa critique de la libération sexuelle : cette liberté coûte chère, elle a fait exploser les maladies sexuellement transmissibles ; le féminisme a rendu les hommes blancs serviles, moins forts que les musulmans, Breivik lui-même se dit féminisé par sa mère, ses amis d'adolescence le décrivent comme « métrosexuel ».

La fragilité des identifications sexuelles est courante chez les terroristes d'ultradroite qui cherchent dans une idéologie viriliste à se défendre de leur part de féminin et à marquer la différence entre l'homme et la femme : on peut parler de haine de soi projetée sur d'autres.

Dylann Roof n'avait jamais eu de relations sexuelles, sa sœur le pensait homosexuel, quand bien même son manifeste exprime de la haine envers les homosexuels. Après avoir tué neuf personnes, Roof se dira capable d'avoir une petite amie, comme si l'acte meurtrier était un équivalent de la masculinité.

Tobias Rathjen, complotiste, accusait aussi « l'organisation secrète » de faire des tortures et des viols d'enfants dans des bases militaires souterraines. L'enquête montrera que Rathjen se travestissait en femme et possédait un certain nombre d'accessoires dédiés à des scénarios sadomasochistes. En clair, il dénonçait comme démoniaque et malfaisant ce qu'il lui pouvait être lui-même.

Vers un profil du terroriste d'ultradroite

Au cours des dernière années, le terrorisme de l'ultradroite est marqué (en Europe et aux États-Unis) par la stratégie assumée de l'action terroriste solitaire. Les trois exemples développés, comme de nombreux autres, permettent d'esquisser le profil actuel du terroriste d'ultradroite.

Un homme, d'un âge très variable, atteint d'un trouble de la personnalité (paranoïaque, narcissique, etc.) ou d'un trouble psychiatrique (schizophrénie), chez lequel l'idéologie d'ultradroite vient nourrir et recouvrir des tendances à la persécution et à la dépression (nexus d'idéologie et de psychopathologie).

Il envisage un passage à l'acte quand il se sent dans une situation d'impasse (perte d'emploi, deuil, rupture, conflit, souffrance psychique majeure due à des troubles dissociatifs).

Ses troubles psychiques ne l'empêchent pas d'organiser son action terroriste. Au contraire, le projet d'action violente joue un rôle de contention et d'explication face à ses symptômes (dépersonnalisation, doutes sur sa masculinité, regrets face à ses divers échecs, etc.). Le passage à l'acte est une vengeance qui rédime le narcissisme du terroriste et le projette dans une gloire posthume (héros d'un ordre nouveau à venir). Il lui offre aussi l'avantage d'un suicide by cops, fantasmé comme une apothéose.

Le terroriste d'ultradroite a une vie intime et sexuelle pauvre (pas ou peu de relations sexuelles) il lutte contre sa part de féminin ou ses tendances homosexuelles, sa haine de cette partie de lui-même est projetée à l'extérieur.


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[1] Suzanne C (dir.), La menace d'ultradroite en France, en Europe et aux États-Unis, Revue diplomatique, Hors-série, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, avril 2021. URL : https://www.institut-ega.org/p/hors-serie-la-menace-dultradroite-en-france-en-europe-et-aux-etats-unis/

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