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Washington 2024 : construire et espérer

25/07/2024

Par Yohan Briant, directeur général de l'Institut d'études de géopolitique appliquée et Lyse Da Costa Montfort, chargée de mission à la direction générale de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.


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Yohan Briant, Lyse Da Costa Montfort, Washington 2024 : construire et espérer, Observatoire des Alliés de la France dans l'Otan, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 25 juillet 2024.

Avertissement

Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité des auteurs. L'image d'illustration, issue du site officiel de l'Otan, est libre de droits.


Le sommet de Washington, celui des 75 ans de l'Otan, se voulait rassurant. Dans un monde où les fractures géopolitiques ne cessent de s'élargir, les désormais 32 membres de l'Alliance atlantique ont eu à cœur de démontrer leur unité et leur capacité à proposer des solutions concrètes aux défis qui les unissent. Les pays membres de l'Alliance ont réaffirmé leur adhésion à la politique de « porte ouverte » de l'Otan, en accord avec l'article 10 du traité de Washington. Dans un contexte de conflit en Europe, aux frontières de plusieurs États membres de l'Alliance, ces préoccupations renforcent et réitèrent leur soutien à l'Ukraine, en tenant la Russie pour seule responsable. Cela se matérialise par une enveloppe de base d'un montant minimum de 40 milliards d'euros qui a été fléchée en faveur de l'aide à l'Ukraine, qui bénéficie déjà d'accords de sécurité bilatéraux avec 20 alliés. L'Alliance souligne également les violations manifestes du droit international, notamment de la Charte des Nations unies. Le sommet a en outre validé la mise en place du Programme Otan de formation et d'assistance à la sécurité en faveur de l'Ukraine (NSATU), visant à coordonner les livraisons d'équipements militaires ainsi que les activités de formation militaire organisées par les Alliés et leurs partenaires. Toujours dans l'optique d'institutionnalisation du soutien à l'Ukraine, l'Otan a lancé son Centre OTAN-Ukraine d'analyse, d'entraînement et de formation (JATEC), un rouage important de la coopération pratique.

Le JATEC servira non seulement à déterminer et à exploiter les enseignements tirés de la guerre, mais aussi à permettre à l'Ukraine de gagner en interopérabilité avec les forces otaniennes. Cette double mission témoigne d'un consensus autour de la persistance d'une menace sécuritaire à la frontière est de l'Europe, ainsi que de l'importance du conflit sur le plan stratégique, tactique et doctrinal. Les forces armées ukrainiennes étant devenues de facto les plus entraînées du continent, l'interopérabilité est également bénéfique pour les forces alliées. Le choix d'installer le JATEC en Pologne correspond à la volonté de l'Alliance de valoriser une « défense européenne plus forte et performante », en plus de s'aligner avec les ambitions polonaises, Varsovie ayant ouvertement affichée son désir de peser davantage.

Sur le plan militaire, il est difficile de nier les réussites de l'Otan tandis que les efforts de développement du pilier européen de l'Otan progressent, malgré les tensions et les désaccords inhérents au modèle démocratique. La multiplication des exercices souligne le développement des capacités de l'Alliance, qui consolide par la même ses capacités de dissuasion. Le Sommet de Washington commémorait non seulement les 75 ans de l'Alliance mais marquait aussi les 15 ans du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Quel sens donner à la bascule de la France vers une plus grande intégration dans l'Alliance ? Cette évolution témoigne d'une réelle volonté de peser dans la durée, indépendamment du contexte politique et dans la continuité des efforts menés par la France depuis la création de l'Alliance. La mécanique d'intégration est désormais poussée à un point où quitter l'Otan se traduirait par un effort considérable pour les armées françaises. Cette volonté d'intégration se manifeste également sur le plan européen, où l'arrivée prochaine de Kaja Kallas, ancienne Première ministre de l'Estonie et franc soutien de l'Ukraine, à la tête de la politique étrangère de l'Union européenne témoigne en plus de la volonté d'ancrer ces efforts dans un cadre pérenne. Cette concorde officielle dissimule pourtant les profondes incertitudes de la politique européenne. L'ombre de la dissolution plane toujours sur Emmanuel Macron et Olaf Sholz peine à se remettre de la défaite de son camp aux dernières élections. À l'heure où les forces les plus anti-européennes continuent de gagner des sièges élection après élection, la pérennisation institutionnelle du soutien à l'Ukraine témoigne surtout d'une crainte de l'avenir. Une inquiétude persiste aussi au sujet des États-Unis, à l'image du poids disproportionné du pays dans l'Alliance. Joe Biden n'avait alors pas encore annoncé son retrait de la course, mais la probable nomination de Kamala Harris ne suffira pas à dissiper les craintes qui accompagnent la perspective d'un éventuel retour de Donald Trump aux affaires. Au-delà des problématiques intérieures, l'inquiétude existe aussi quant à la capacité de Washington de considérer à la fois Moscou et Pékin. La réponse est simple : c'est impossible et un consensus politique transpartisan existe déjà aux États-Unis sur l'impératif de considérer la Chine en priorité. Il est donc urgent que les européens sécurisent le soutien à l'Ukraine et poursuivent leur effort de réarmement.

Ce sommet était en même temps un sommet de transition. Après dix ans comme secrétaire général (mandat prolongé de deux ans suite au déclenchement de la guerre) le norvégien Jens Soltenberg va laisser la place à l'ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte : une passation d'européen à européen (bien que ce fut le cas dans la majeure partie de l'histoire du poste) et un rapprochement en direction de l'Union européenne. Dans le contexte actuel, les dépenses de défenses de nombreux pays européens (et du Canada) ont augmenté de 18% en 2024, ce qui représente « la plus forte progression depuis des décennies ». Les menaces sont réelles, leur pluralité et leur caractère hybride les rend difficile à appréhender. Si l'Europe veut être prête à y faire face, il lui faudra impérativement continuer de faire front commun, en s'appuyant sur l'ensemble des institutions à sa disposition, Union européenne et Otan en tête.